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aucun avocat ne se présentait pour plaider devant eux, et la plupart des procureurs, sommés de comparaître, venaient déclarer que les cliens leur avaient retiré leurs pouvoirs avec les pièces de leurs procès, ne voulant pas être jugés par un tribunal que repoussait la conscience du pays : noble exemple de patriotisme qu’un historien breton est fier de signaler à l’admiration publique. Les commissaires n’éprouvaient pas un moindre embarras pour continuer l’instruction criminelle, car, indépendamment de l’impossibilité de donner un corps à cette monstrueuse accusation, ils se sentaient abandonnés par le ministère, qui reculait visiblement devant l’attitude comminatoire des grandes compagnies judiciaires et devant l’indignation de la France, aux yeux de laquelle la lumière s’était faite. Si l’on pouvait immoler les accusés de Saint-Malo, on ne pouvait plus les juger. Il fallait ou reculer ou aller jusqu’à la tyrannie, pour laquelle ni Louis XV ni ses ministres n’étaient taillés. Les difficultés les plus insolubles pour les gouvernement sont celles qu’ils se suscitent à eux-mêmes, car elles ne leur laissent que la périlleuse ressource de se désavouer. Depuis la mort du cardinal de Fleury, ce règne avait marché, pour le dedans comme pour le de hors, de contradictions en contradictions : le moment était venu où celles-ci allaient s’accumuler.

Renonçant à faire juger les accusés par commissaires, le cabinet ordonna leur transfert dans une prison de Rennes, où M. de La Chalotais arriva aux premiers jours d’août. Le roi déclara en même temps sa volonté de faire procéder à l’instruction du procès par le parlement de Bretagne, dont un édit du mois de juillet avait préparé une sorte de réorganisation. Le personnel de la nouvelle cour était formé par les magistrats non démissionnaires ; à ceux-ci étaient venus se joindre une vingtaine d’anciens conseillers tous notoirement opposés aux démissions, et qui, ne s’y étant associés l’année précédente qu’afin de ne pas se séparer alors de leurs confrères, rentraient au palais conséquens avec leurs principes. Enfin le commandant de la province avait été autorisé à compléter par les choix qu’il lui conviendrait de faire ce personnel judiciaire, que l’édit ramenait du nombre de 120 à celui de 60 magistrats, nombre largement suffisant pour le service, la quantité des conseillers n’ayant été doublée sous les règnes précédens que pour des considérations purement fiscales, contre lesquelles s’étaient constamment élevés les états de Bretagne et le parlement lui-même.

Rentré à Rennes au commencement de 1766 après une absence de sept mois qui l’avait laissé étranger aux événemens, M. le duc d’Aiguillon avait reçu de la confiance du cabinet deux missions également difficiles : on lui demandait en effet de constituer le