Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interruptions éclataient de toutes parts à la seule proposition de revêtir ces travaux d’un caractère définitif par un vote de l’assemblée, la noblesse persistant dans l’engagement d’honneur pris à l’ouverture des états.

Cette attitude ne tarda pas à provoquer dans les deux ordres paralysés par un tel parti pris les irritations les plus vives. Quoique le parlement ne rencontrât pas chez les membres du tiers des sympathies moins prononcées que chez les gentilshommes, la résolution de la noblesse de faire suspendre indéfiniment tous les travaux jusqu’au jugement des six magistrats, la dictature qu’elle affectait, avaient, en exaspérant le tiers-état, fini par le rendre favorable à toutes les vues du commandant de la province. Ce fut en soutenant contre l’ordre privilégié les prétentions de la royauté absolue que la bourgeoisie révéla, au sein des états de Bretagne, les premiers symptômes du mouvement démocratique destiné à faire bientôt une explosion terrible. En servant contre la noblesse les plans du duc d’Aiguillon, elle se préparait à faire triompher vingt ans plus tard contre cette même caste les plans de M. Necker. Les récriminations échangées chaque matin étaient reproduites et envenimées par des écrits clandestins[1]. Au reproche de suppléer aux lumières par des bravades et aux bonnes raisons par de grands cris, la noblesse ripostait en attribuant à la bourgeoisie, qui se montrait de plus en plus favorable à la politique de M. d’Aiguillon, des mœurs serviles et des complaisances d’affranchis. Les insultes étaient de tous les jours et les rencontres fréquentes : ce fut deux fois à la pointe de l’épée que M. de Silguy eut, quoique gentilhomme, à faire respecter l’honneur de l’ordre du tiers, qu’il présidait en qualité de sénéchal de Quimper.

La noblesse manifestait un acharnement plus vif encore contre l’ordre du clergé. Les évêques, sortis de ses rangs, lui apparaissaient comme des traîtres à la cause commune, parce qu’ils mettaient au service de la cour leur dévouement absolu et leur expérience des affaires. Le respect dû à leur caractère ne les défendait pas toujours contre des outrages quelquefois grossiers. Entre de nombreux exemples, je n’en citerai qu’un seul, pour ne pas manquer au devoir de peindre dans toute leur vérité ces mœurs politiques par trop pittoresques. Dans une séance du soir, les débats entre les ordres avaient dépassé en violence tout ce qu’il serait de nos jours possible de croire et de supporter. Afin de terminer cette scène, l’évêque de Rennes, qui présidait l’assemblée, saisissant

  1. Je citerai au premier rang une gazette manuscrite, source abondante d’informations pour la chronique intérieure des états, les Lettres d’un gentilhomme breton à un gentilhomme espagnol et les Entretiens en forme de dialogue sur les états de 1766.