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si le village était mal géré ou trop lourdement chargé d’impôts, les non inscrits disparaissaient. On ne les retrouvait plus au recensement qui se faisait tous les six ans, et les notables ou inscrits, obligés de faire face aux mêmes contributions et de payer pour les absens, avaient tout intérêt à défendre la cause commune et à établir la taxe de chacun avec équité. Au-dessus de ces villages se gouvernant eux-mêmes régnaient despotiquement les mandarins, qui se gardaient bien de toucher au régime intérieur des centres. Dans leurs tournées d’assises ou d’inspection, ils recevaient des cadeaux moyennant lesquels ils consentaient à ne pas trop augmenter l’impôt, et pour les améliorations de détail s’en rapportaient volontiers aux notables, qui restaient souverains maîtres à cet égard. Il est inutile d’insister sur la simplicité de ce système. Si l’on suppose le pays tranquille, les routes ouvertes et la navigation fluviale libre, l’achat des produits augmentera ; la population, le défrichement du sol, suivront une progression ascendante, et le revenu général croîtra sans que l’impôt du dixième ait varié, sans que l’indigène soit pressuré. L’administration locale française pouvait sans danger simplifier encore ces rouages en mettant quelques Européens à la place des mandarins, trop nombreux dans les centres principaux, et en s’en servant pour répartir l’impôt par village, percevoir les droits, rendre la justice et commander les irréguliers de la milice chargés de la police des provinces.

Dès la fin de l’année 1863, l’hésitation n’était plus permise, nos trois provinces étaient pacifiées en grande partie, on n’y signalait plus que des incursions et des rébellions sans importance. On pouvait rendre dans une certaine mesure le pays à lui-même et lever l’état de siège, maintenu jusqu’alors. Les pouvoirs militaire et civil furent donc séparés, et l’administration des indigènes remise entre les mains d’un corps particulier d’inspecteurs relevant d’un directeur de l’intérieur résidant à Saigon. Cette organisation fut complétée par un ensemble de mesures propres à développer rapidement les forces vives du pays. La liberté illimitée du commerce fut proclamée par la déclaration de Saigon qui affranchit tout notre territoire de Basse-Cochinchine des droits de douane extérieure ou intérieure. La liberté civile fut reconnue par l’admission de toutes les races du monde dans nos possessions. L’égalité fut maintenue entre tous, vainqueurs, vaincus et immigrans, par les mêmes charges devant l’impôt, les mêmes devoirs devant la loi et à l’égard les uns des autres. Enfin la dignité de l’indigène fut relevée et sauvegardée par l’abolition des coups de bâton et l’adoucissement des punitions barbares qu’édictaient les codes annamites.

Ainsi, sans augmenter les impôts, sans toucher à l’assiette des