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employant ses veilles à traduire de sots livres, ou Winckelmann maître d’école ? — « J’ai fait le magister en toute conscience, écrivait le futur auteur de l’Histoire de l’art, et j’ai montré l’alphabet à des marmots pouilleux, tandis que mon âme soupirait après la connaissance du beau et quêtait des images dans Homère. » Mais le sauveur de Lessing fut Lessing, et Winckelmann se tira d’affaire par des protections dont il dut payer cher les bienfaits. L’Italie était son rêve, et, bien que le proverbe prétende que tout chemin mène à Rome, un seul chemin très étroit pouvait l’y conduire : on lui demandait une abjuration en bonne forme. Il se fit catholique sans conviction et sans remords ; la conscience de ses amis l’embarrassait plus que la sienne. Il désarma leurs reproches en leur représentant qu’il importait médiocrement à Dieu que Winckelmann communiât sous une ou sous deux espèces, que le plus sûr moyen que nous ayons de lui plaire est de suivre notre vocation, et que Dieu l’avait mis au monde pour révéler à toute la chrétienté les beautés de l’Apollon du Belvédère. Ce genre de casuistique n’était pas à l’usage de Lessing ; on eût été mal venu à réclamer de sa fierté certains consentemens. Il ne différait pas moins de Winckelmann par le tour d’esprit que par le caractère. L’illustre antiquaire de Steindall était avant tout un homme de sentiment, et le sentiment a tour à tour des divinations merveilleuses et des égaremens subits où il se complaît. Toutes les inexactitudes de Winckelmann proviennent de la force, de l’impétuosité de ses préventions ; il voit souvent ce qu’il a juré de voir, et ses souvenirs, témoins subornés, fournissent sur-le-champ à sa thèse les textes et les autorités qui lui font faute ; pourquoi prendrait-il la peine de vérifier ? Le sentiment est toujours sûr de son fait. Si Winckelmann s’est quelquefois mal souvenu, plus souvent encore il a mal raisonné. On connaît le mot de Diderot sur ces fanatiques spéculatifs qui courent les rues, le syllogisme en arrêt, prenant les passans à la gorge et les sommant de convenir que la Dulcinée du Toboso est la plus accomplie des créatures. « Tel est Winckelmann, ajoute-t-il… Demandez à cet enthousiaste charmant par quelle voie Glycon, Phidias et les autres sont parvenus à faire des ouvrages si beaux et si parfaits… Il n’y a sans doute aucun point de sa réponse qu’on osât contester. Mais faites-lui une seconde question, et demandez-lui s’il vaut mieux étudier l’antique que la nature… L’antique, vous dira-t-il sans balancer, l’antique ! Et voilà tout d’un coup l’homme qui a le plus d’esprit, de chaleur et de goût, la nuit au beau milieu du Toboso. »

Lessing n’est jamais allé au Toboso ; il n’en connaissait pas le chemin. Le fanatisme n’avait point de prise sur cette lumineuse in-