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loi comme une figure et comme une préparation de la loi nouvelle. À son tour le Coran adopte Jésus comme un prophète inspiré du ciel ; mais en même temps la doctrine de l’Évangile n’est pour lui qu’une ébauche imparfaite de celle dont le prophète devait être le véritable promulgateur. Une fois promulgué, l’islam n’a plus besoin du christianisme, qui lui devient au contraire un obstacle ; de même, la doctrine chrétienne une fois annoncée, le judaïsme n’était plus pour elle qu’une puissance hostile dont il fallait se séparer et s’affranchir. Les conditions sous lesquelles ces grandes religions semblent consentir à se rattacher les unes aux autres sont donc telles qu’elles rompent entre elles toute parenté et prêtent à chacune d’elles une originalité en apparence presque absolue.

Quand on va plus loin vers le passé ou vers l’Orient, la prétention des vieilles religions à l’indépendance est plus positive encore. On ne saurait considérer comme une croyance populaire de la Grèce ancienne que les dieux fussent venus d’Égypte dans ce pays ; c’est une opinion d’Hérodote et rien de plus. Cette opinion personnelle de l’historien n’a pas plus de valeur que celle des linguistes d’autrefois, qui faisaient venir toutes les langues de l’hébreu, sous prétexte que Dieu, en nommant les objets à Adam dans le paradis terrestre, les avait désignés par des noms hébraïques ; aujourd’hui l’on sait comment les langues se sont formées, et que celle des Juifs est une des plus récentes. On sait aussi que leur Adam et son paradis sont des mythes venus chez eux du dehors et empruntés à des peuples qui ne parlaient pas même hébreu. L’opinion d’Hérodote est tombée de la même manière : des recherches si multipliées de l’archéologie il résulte que les cultes grecs étaient locaux et indépendans les uns des autres, qu’ils ne conservaient point le souvenir d’une origine étrangère et que dans chaque lieu on racontait une légende établissant l’autochthonie de la religion qu’on y pratiquait. Le plus loin que l’on remontât, c’était la Crète ou la Thrace, qui avaient été en effet deux centres de rayonnement ou de diffusion pour les cultes des Pélasges et des Hellènes ; mais personne ne disait que ces cultes fussent venus de la Haute-Asie s’établir dans la Thrace ou dans la grande île des Cariens. Au contraire on racontait comment Jupiter avait été nourri dans l’île de Crète, et cet Orphée que la science moderne a reconnu dans un personnage du Vêda, on le faisait naître dans un pays européen et partir de là avec les Argonautes pour la conquête de la Toison d’or. Chaque divinité grecque était regardée comme la fondatrice de son propre culte, Junon à Argos, Apollon à Delphes et à Délos, Neptune et Pallas à Athènes, et ainsi des autres.

Chez les Perses, la religion était attribuée à Dieu comme à son