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milieu des peuples assemblés est aussi l’interprète de la pensée religieuse, le prophète qui l’annonce, l’intelligence qui la dévoile. Mais comme le savant qui découvre une loi de la nature n’en est pas pour cela l’auteur, de même l’homme, le prêtre qui donne la première expression d’un dogme ne fait qu’accorder son intelligence sur le type éternel de la pensée humaine, qui est Dieu. Cela fait, son idée va par le monde et y produit ce qu’elle peut produire jusqu’à ce que, sa vertu productrice étant épuisée, un principe nouveau et pris à la même source gagne à son tour les esprits et donne le jour à quelque culte nouveau. Les transitions sont insensibles : quand on serre de près ces questions, il est presque impossible de dire à quel moment une doctrine a commencé ; elle se prépare de loin et n’éclate jamais à l’improviste. Jean ne fut pas le seul précurseur du Christ ou, s’il le fut pour les Juifs qu’il baptisait, il ne le fut certainement pas pour les Grecs. Sans compter beaucoup d’Alexandrins et des sectes entières habitant l’Égypte, le stoïcisme, Platon, Socrate lui-même et ceux que de son temps on appelait orphiques, pythagoriciens ou baptiseurs, croyaient, enseignaient et pratiquaient des maximes venues du même point de l’Asie d’où vinrent aussi les doctrines évangéliques.

Ainsi, dans l’hypothèse que nous exposons et qui est celle de la science, les religions cheminent suivant des lois naturelles qu’un géomètre pourrait représenter par des courbes. Comme un être vivant qui naît d’un germe insaisissable, grandit peu à peu dans l’œuf maternel et ensuite dans sa liberté, touche à sa plus grande vigueur, puis voit sa puissance de vivre décroître par degrés et enfin retourne aux élémens d’où il est sorti, ou comme une vague de la mer qui de ride invisible devient flot, monte, soulève un grand navire, le renverse, le submerge, puis redescend et va se perdre dans le flot qui la suit, ainsi une religion nouvelle naît au sein d’un peuple sans qu’on la voie, c’est une société secrète, un mystère ; bientôt elle se rend visible, subjugue les esprits, devient toute-puissante ; plus tard elle décroît et voit la place qu’elle occupait envahie peu à peu par une idée nouvelle dans laquelle elle est enfin absorbée. Les courbes géométriques par lesquelles il est possible de représenter la marche des religions ne forment pas une ligne unique, continue et sinueuse, c’est une série de lignes dont chacune se croise avec celle qui la précède et avec celle qui la suit ; mais la science démontre que toutes procèdent d’un fonds commun dont elles ne sont que les formes successives et passagères.

Nous dirons tout à l’heure en quoi consiste cet élément constant des religions. Observons seulement ici que le problème d’origine est le même pour toutes, et que, s’il peut être posé pour une