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Ce qu’il y a de curieux de toute façon, ce qu’il y a de caractéristique, c’est cette recrudescence réactionnaire qui se manifeste dans certaines sphères à mesure que le sentiment libéral s’accroît et s’enflamme dans le pays.

Cet esprit de réaction est réellement plus puissant et a fait plus de progrès qu’on ne le croirait. Il y a des régions de la vie publique où il fleurit, où il règne avec une véritable candeur. Les affaires de Rome. lui ont communiqué une singulière intensité. Depuis qu’il a sauvé pour le moment le temporel ecclésiastique, il se croit assuré de la victoire, et il est plus ultramontain, plus papiste que le pape, comme il est plus impérialiste que l’empereur. Qu’on y prenne bien garde, ce n’est pas là l’esprit conservateur tel qu’il peut légitimement et utilement se produire dans nos sociétés nouvelles ; c’est un esprit purement réactionnaire, s’inspirant de toutes les idées, de toutes les passions restrictives ou des plus vaines terreurs, et visant surtout à se couvrir d’un voile de religion. Il a la fureur de l’orthodoxie en toute chose. Que des cardinaux, des prêtres, des évêques, comme M. Dupanloup, défendent leur cause au risque de mettre en doute tous les droits des sociétés modernes et de dépasser souvent toutes les limites, qu’ils ne voient que l’église, cela se conçoit encore ; mais ne voit-on pas de simples bourgeois qui ne seraient rien sans 89 renier la révolution française, oublier que cette société à laquelle ils appartiennent ne vit que de ce souffle puissant d’autrefois ? Pour eux, la presse et les réunions publiques ne sont que des moyens d’anarchie ; le régime parlementaire est une vraie peste ; la liberté de penser sous toutes les formes est une ennemie à combattre et à dompter ; tout ce qui est vie et mouvement est révolutionnaire. Est-ce que quelque chose de cet esprit ne se glissé pas quelquefois jusque dans le sénat lui-même ? On le dirait, à voir l’entraînement avec lequel il se jette sur certaines questions et se laisse aller à se transformer en concile, — sans doute à cause de la présence des cardinaux, — pour trancher certains problèmes de religion ou de philosophie. Le sénat aura prochainement une de ces discussions où il laisse voir ses tendances. Il s’agit d’une pétition sur laquelle un rapport habile a déjà été fait par M. Chaix d’Est-Ange, et qui demande la liberté de l’enseignement supérieur en se fondant sur les doctrines purement matérialistes de quelques professeurs de la faculté de médecine de Paris. A cela est venue se joindre l’affaire d’un jeune docteur qui, marchant sur les traces des professeurs, a fait de sa thèse un vrai manifeste de matérialisme, et qui, en fin de compte, est le premier à payer pour tout le monde, puisqu’on lui refuse son diplôme justement à cause de ces opinions qui ont ému le sénat.

Il ne peut être nullement question ici, bien entendu, de la valeur philosophique de cette doctrine matérialiste, vieille comme le monde, vieille aussi, ce nous semble, à la faculté de médecine de Paris. Si elle n’a pas