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patrie, ma ville natale, mes parens, mes amis. Cependant, en jetant un dernier regard sur cette contrée qu’arrose le plus grand des fleuves de l’Europe, sur ce Volga que sillonnent à pleines voiles de gros navires chargés des riches tributs de la mer Caspienne, de la Géorgie et de la Perse, après que le soleil d’avril l’a débarrassé de ses glaçons ; quand je dus abandonner cette ville renaissante, à longues files de maisons isolées en bois, et les steppes incultes, mais non stériles, qui l’entourent, je ne pus me défendre d’une émotion profonde et d’un vif sentiment d’appréhension, en me demandant si, au milieu de la vie active qui m’attendait, je pourrais poursuivre, comme dans le silence et la solitude de l’exil, les études qui en avaient adouci l’amertume et m’étaient devenues si chères. » Rentré au mois de septembre, après un voyage dont on aurait quelque peine à se figurer les lenteurs en ce temps de chemins de fer, et que l’impatience de revoir la patrie rendait plus long encore, M. Poncelet commença par se faire rayer de la liste des morts, sur laquelle il avait longtemps figuré. Il fut attaché, en qualité de capitaine du génie, à la place de Metz. Pendant les vingt années qu’il y passa, absorbé presque entièrement par ses devoirs d’ingénieur militaire et de professeur, il lui arriva peut-être plus d’une fois de regretter la solitude de l’exil, qui lui avait permis de donner libre carrière à ses spéculations transcendantes. Les occupations qui l’attendaient étaient d’une nature toute pratique, et la besogne n’était pas mince. A peine arrivé, il se vit obligé de faire construire pour l’arsenal du génie les usines dont cet établissement était encore dépourvu ; il consacra donc.ses premiers soins à l’installation de martinets, souffleries, forges, meules d’aiguiserie, fours et scieries. La reconnaissance militaire du département de la Moselle et le blocus de Metz vinrent occuper son temps pendant l’année suivante, et lui révélèrent la nécessité d’une foule d’améliorations qu’il songea dès lors à introduire dans les ouvrages de défense et de fortification. Parmi les projets qu’à cette époque il rédigea et qui étaient appuyés sur de sérieuses études expérimentales, on peut citer notamment celui d’un barrage écluse à établir sur la Moselle, à la gorge du fort qui porte le même nom, projet hérissé de difficultés et dont Vauban s’était déjà préoccupé. Il inventa ensuite le pont-levis le plus employé de nos jours et les roues hydrauliques auxquelles on a donné le nom de roues à la Poncelet. Les roues verticales mues par-dessous qui sont employées à transmettre la force de l’eau dans beaucoup d’usines reçoivent le choc du liquide sur des aubes ou palettes qui, cédant sous l’impulsion, font tourner la roue. Auparavant ; Informe adoptée pour les palettes était telle, qu’une grande partie de la force disponible se perdait sans produire d’effet utile ; M. Poncelet imagina des aubes courbes dont la forme est calculée de manière à utiliser la totalité de la puissance motrice de l’eau. L’ingénieuse invention du capitaine Poncelet obtînt en 1825 le grand prix de mécanique de l’Institut et se répandit promptement en France, en Allemagne, en Italie