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accident est survenu à un point donné de la voie. Des gens fort bien intentionnés sans doute, mais fort peu au courant des lois de la mécanique, ont demandé avec instance qu’on trouvât un moyen de donner au mécanicien la possibilité d’arrêter subitement un train dans le cas où l’on s’apercevrait que la voie n’est pas libre. En admettant, ce qui est douteux, qu’on pût découvrir un frein assez puissant pour immobiliser tout à coup un convoi lancé, on amènerait infailliblement un déraillement immédiat, et devant la locomotive ainsi arrêtée tous les wagons se renverseraient en montant les uns sur les autres. Chaque train roulant à sa vitesse normale contient une somme de mouvement déterminée ; si l’on passe subitement à l’état de repos, ce mouvement ne cesse pas, il se brise, et produit alors des effets désastreux, semblables à ceux qui résulteraient du choc le plus violent. Il faut au moins agir pendant 200 mètres pour qu’un train puisse, se ralentissant graduellement, être arrêté sans danger, et encore le mécanicien, pour opérer avec certitude sur une si courte étendue, renversera sa vapeur et n’aura pas trop de trois bons freins pour l’aider. Pour éviter les accidens imprévus, et qui appartiennent à l’exploitation des chemins de fer comme à toute œuvre humaine, beaucoup de prudence et des règlemens nets, positifs, ne pouvant donner lieu à aucune méprise, telle est en somme la meilleure garantie.

Quant aux accidens partiels, ils sont dus le plus souvent à l’imprudence des voyageurs eux-mêmes, qui refusent d’écouter tout avis et se font un jeu d’enfreindre les consignes les plus plausibles. Les avertissemens affichés en grosses lettres dans les stations ne peuvent empêcher personne de descendre, au risque de blessures graves, pendant que le convoi est encore en mouvement. Souvent les compagnies sont absolument débordées, et par ce fait deviennent irresponsables. Le 6 juin 1867, trois souverains passaient une revue sur l’hippodrome de Longchamp. L’espoir d’un tel spectacle avait attiré une affluence énorme à la gare de l’Ouest. Le train de banlieue fut littéralement pris d’assaut. Rien n’y fit, ni les observations des employés, ni les menaces des agens de police, ni la vue de l’écharpe des commissaires : les wagons furent escaladés ; il y avait des voyageurs sur le toit, sur le marchepied des voitures ; partout où un homme avait pu s’accrocher, la place était prise. Force fut de partir dans de si redoutables conditions ; nul accident ne se produisit, ce fut un miracle, car il suffisait qu’un imprudent se levât sous un tunnel pour être décapité, ou laissât traîner ses jambes pour les voir brisées contre un poteau. Si ce malheur fût arrivé, on eût poussé toute sorte de cris, attaqué la compagnie et traduit les agens devant les tribunaux. Le système