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mais jamais la colère ne se révéla plus implacable, et, si grande que soit l’habileté de l’avocat, elle est vaincue par l’éloquence de la passion, toujours supérieure à celle de l’art.

Tandis que le parlement de Bretagne condamnait au feu la défense juridique d’un pair de France rendant compte au roi et à la cour dont il était membre de sa conduite administrative, les états, par un vote auquel l’église refusa seule de s’associer, jetaient à tous les échos de la publicité cet acte d’accusation au moment où le roi appelait l’accusé au poste de premier ministre. Entré aux affaires dans une pareille situation, le duc d’Aiguillon n’avait devant lui qu’une voie ouverte. Quoique ce souple courtisan n’eût été formé par la nature ni pour la lutte ni pour la violence, le collègue de Terray et de Maupeou, dont les noms symbolisaient la banqueroute et l’arbitraire, était condamné ou à briser la ligue parlementaire qui enlaçait alors le royaume, ou à tomber bientôt sous ses arrêts infamans. M. d’Aiguillon n’était pas moins fatalement prédestiné que ne le fut de nos jours M. de Polignac à courir la chance des coups d’état. Il la courut en effet avec plus de bonheur qu’il n’était naturel d’en attendre pour un cabinet dirigé par Mme du Barry. Dans la nuit du 20 janvier 1771, Maupeou fit enlever d’un coup de filet tous ses ennemis avec une prestesse à peine dépassée par ses plus heureux imitateurs. Le chancelier accomplit son œuvre ténébreuse, avec une audace qui ne surprit personne, mais il déploya dans la série de réformes dont il fit suivre cet acte de violence un esprit politique par lequel il se montra fort supérieur à tous ses contemporains.

Renverser les parlemens en les signalant aux populations comme un obstacle aux réformes les plus vivement souhaitées, associer à la chute de ces corps privilégiés la gratuité de la justice, l’admissibilité de tous les citoyens aux charges de la magistrature, promulguer des édits où se reflétaient la sagacité de Pothier et l’humanité de Beccaria, substituer pour le parlement de Paris à un ressort d’une étendue démesurée des circonscriptions plus restreintes, afin de placer partout la justice à la portée des justiciables, c’était là sans nul doute une idée féconde, dont l’application, si elle n’avait été bientôt interrompue par une restauration parlementaire, aurait rendu possible le succès des tentatives si malheureusement avortées de 1774 à 1787. De toutes les entreprises tentées par le pouvoir royal depuis le ministère du cardinal de Fleury jusqu’à celui de M. de Brienne pour maîtriser les parlemens, celle du chancelier Maupeou est la seule qui ait réussi. Ce coup d’état provoqua une émotion vive, mais passagère ; les perspectives nouvelles ouvertes devant une société déjà profondément travaillée par l’esprit