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l’accorder. Le troisième ordre quitta immédiatement la salle, aux applaudissemens du peuple, qui venait de s’introduire dans la tribune réservée au public ; il sortit le front serein et parfaitement assuré du sens des délibérations qu’on allait provoquer. La noblesse continua de siéger malgré l’invitation de quitter la salle qui lui fut adressée par le commandant, et le chevalier de Guer commit l’impardonnable faute de lui faire consacrer par un serment l’engagement de maintenir intégralement la constitution bretonne et de n’accepter, sous peine d’infamie, aucun mandat pour siéger au sein des états-généraux du royaume, s’il n’était délivré par les états de la province dans la forme traditionnelle.

Cependant du 15 au 20 janvier toutes les communautés et toutes les corporations constituées se réunirent conformément à l’ordre du roi, et, comme il était facile de le prévoir, aux premières instructions d’une forme mesurée succédèrent des injonctions injurieuses. La réunion des communautés urbaines avait été provoquée par un arrêt du conseil ; mais, en se prévalant de la constitution particulière de la Bretagne, le parlement de Rennes avait cru pouvoir déclarer cet arrêt du conseil non avenu, et il était allé jusqu’à décréter d’ajournement personnel tous les maires qui convoqueraient les citoyens pour délibérer sur des matières que le parlement maintenait être du seul ressort des états de la province. On devine qu’une aussi imprudente injonction n’arrêta personne, et qu’elle eut pour seul effet de surexciter encore les passions et de faire des magistrats l’objet principal de la haine publique, le point de mire de toutes les attaques.

Les nobles et les parlementaires, voyant le terrain se dérober sous leurs pas, imaginèrent d’organiser à Rennes, où l’aristocratie de robe et d’épée tenait une fort grande place, des manifestations en sens inverse de celles qui avaient lieu dans un intérêt démocratique, et crurent pouvoir donner le change à l’opinion en faisant réclamer par des assemblées formées sous leur influence le maintien de l’état de choses déserté par la faveur populaire. Le 26 janvier 1789, des avis nombreux convoquèrent au champ Montmorin ce qu’on nommait alors les réclamans de la constitution noble. Plusieurs centaines de personnes s’y rassemblèrent, et les témoignages contemporains sont unanimes pour constater que la plus grande partie de l’assistance était formée par les porteurs de chaises et les domestiques des maisons nobles, qui avaient dépouillé leur livrée pour exercer avec une indépendance moins contestable leurs droits de citoyens[1]. Dans cette réunion en plein air, assez promptement

  1. Voir entre autres relations le Précis historique des faits arrivés à Rennes les 26 et 27 janvier 1789, remis au roi par les députés du tiers-état en cour, mars 1789.