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anathèmes lancés à Rennes par les deux ordres privilégiés contre-quiconque consentirait à accepter, pour la députation aux états-généraux, un mandat direct délivré dans les bailliages. Vingt-deux curés, élus par leurs confrères au sein des neuf diocèses de Bretagne. assistaient à Versailles à l’ouverture de l’assemblée nationale. Fort dévoués pour la plupart aux idées nouvelles, ces ecclésiastiques furent des premiers à pénétrer au jeu de paume, et leur concours ne devait manquer à la cause de la révolution que lorsque-cette cause cessa d’être celle de la liberté.

Immobile et compacte, la noblesse bretonne n’était donc plus qu’un rocher perdu dans l’immensité de l’océan, et dont un dernier flot allait bientôt couvrir la cime. Un ordre royal venait de la convoquer à Saint-Brieuc pour le 16 avril, afin qu’elle eût à lever les obstacles opposés par elle à la nomination de ses députés aux états-généraux, en opérant cette élection conformément au mode déterminé pour la généralité du royaume et pratiqué partout sans aucune observation. Cette noblesse eut alors pour la première fois le sentiment de son isolement profond. Elle tenta d’y échapper par quelques concessions importantes, mais qui toutefois n’entamèrent sur aucun point l’intégrité de sa vieille foi politique. Délibérant, comme à Rennes, sous la présidence du comte de Boisgelin, l’ordre de la noblesse déclara qu’il était disposé à reconnaître la convenance d’une représentation plus étendue accordée à l’église et au tiers, et qu’il était prêt à voter, « à la tenue prochaine des états de Bretagne constitutionnellement assemblés en trois ordres, une égale répartition des impositions qui seront consenties dans lesdits états réunis et délibérant selon les formes accoutumées[1]. »

On ne pouvait se tromper sur la portée de ces propositions manifestement incompatibles avec les faits accomplis. Afin qu’il ne demeurât aucun doute sur la volonté de la noblesse de n’abandonner, en renonçant à ses avantages pécuniaires, aucune de ses prérogatives politiques, elle déclara « que quiconque maintiendrait représenter la province aux états-généraux du royaume en vertu d’une élection qui n’aurait pas été faite dans le sein de l’assemblée provinciale serait considéré comme traître à la patrie, » ce qui infirmait la valeur du mandat direct déjà donné à tous les députés du tiers et du clergé. Les états de Saint-Brieuc terminèrent enfin l’acte solennel qu’ils jetaient en défi à la France nouvelle en proclamant non avenues les décisions royales des 27 décembre 1788 et 3 janvier 1789, qui avaient accordé le doublement du tiers et pris le chiffre de la population pour base des circonscriptions

  1. Registre des états de Saint-Brieuc, séance du 19 avril 1789.