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à la campagne, d’où étant de retour il témoigna si bien qu’il voulait quitter le monde que le monde enfin le quitta… » Sa sœur, Jacqueline Pascal, qui était déjà à Port-Royal, parle dans une lettre d’horribles attaches qu’il aurait eu à briser. Il n’y a que ces âmes saintes pour parler ainsi. Pascal, avec sa droiture native, ne pouvait avoir d’horribles attaches. Il n’avait pas sans doute trouvé dans le monde ce qu’il cherchait, la satisfaction de cette soif insatiable de l’inconnu qui le tourmentait ; d’autres circonstances venaient ébranler son imagination et son âme, et il se rejetait dans la vie religieuse avec l’humeur bouillante qu’on lui connaissait, qu’il portait en tout, que sa sœur, Mme Périer, remarquait dans ce retour comme dans tout ce qu’il faisait. C’est alors, dans la première ivresse de cette révolution intérieure, que Pascal, pendant une nuit de veille, écrivait sur un papier retrouvé après sa mort cousu dans son habit tous ces mots entrecoupés : « Feu !… certitude, certitude, sentiment, joie, paix !… Oubli du monde et de tout, hormis Dieu !… Grandeur de l’âme humaine !… Joie, joie, joie, pleurs de joie !… Jésus-Christ, Jésus-Christ, que je n’en sois jamais séparé !… Renonciation totale et douce !… »

Pauvre grand esprit qui parle de la certitude en homme qui n’est pas sûr de la tenir, de la joie en homme qui ne connaît que la douleur, de la paix en homme qui ne la connaîtra jamais ! Il aura beau faire, il ne trouvera plus le repos, et plus il s’engagera dans cette voie d’un mysticisme ardent, plus il se sentira agité. A partir de ce moment, Pascal ne vit plus que pour la piété, pour les pauvres, pour la religion et pour Port-Royal. Il arrive par degrés à tous les raffinemens de la macération, de la prière et de l’abnégation. C’est l’époque sans doute où son esprit, mûri dans ces crises, domine tout et se déploie dans sa force, c’est en un mot l’époque des Pensées, cette œuvre bien autrement personnelle, bien autrement vivante que les Provinciales, mais la vie réelle de Pascal n’est plus pendant huit ans que de l’ascétisme compliqué de souffrances toujours croissantes : c’est la vie d’un solitaire martyrisé, c’est un acheminement vers la mort à travers toutes les austérités et les luttes mystérieuses d’un grand esprit faux prises avec lui-même, ému au point de voir toujours un abîme auprès de lui. L’abîme, c’était son propre cœur, ce cœur qui s’est si naïvement dévoilé en croyant uniquement peindre l’homme dans sa grandeur et dans sa petitesse, dans l’infini de ses espérances et dans l’infini de ses décourage-mens. Pascal mourut en 1662, à trente-neuf ans, comme un saint, avec une douceur résignée, en songeant aux pauvres, au milieu desquels il aurait voulu être transporté, en souriant à la souffrance et à cet invisible qu’il allait contempler face à face.