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REVUE MUSICALE.


On a dit depuis longtemps sur M. Auber tout ce qu’il y avait à dire ; nous nous sommes nous-même, à cette place, si souvent exercé sur cet aimable et attrayant sujet que les paroles aujourd’hui nous manquent presque pour y revenir. On ne saurait louer Aristide d’être juste ; mais ce dont on peut à bon droit s’étonner, c’est de voir les Athéniens de Paris ne se point lasser de l’entendre, de l’applaudir, et cela dans quelle période ? Alors que chacun se travaille, s’industrie à se fabriquer une nouveauté de convention, à formuler sa pensée sur la pensée d’autrui. « Qui veut du Meyerbeer, du Verdi ? Nous en tenons. Si c’est du Richard Wagner que vous préférez, vous n’avez qu’à parler, en voici tout un assortiment. » Au milieu de cette foire aux idées et aux vanités, M. Auber est resté lui-même ; tel il était aux jours de la Muette, de la Fiancée, de Fra Diavolo et du Philtre, tel nous le retrouvons à cette heure, mangeant en délicat son propre fonds et buvant dans son verre, un verre du plus pur cristal de France, où le cliquot bouillonne et pétille sans fin. Il fallait voir, l’autre soir, l’ivresse de tout un public mis en joie par cette grâce exquise. ce naturel dont le secret paraît devoir se perdre. A chacune de ces inspirations accortes, de ces caressantes mélodies, le public tressaillait, souriait d’aise, la salle entière semblait se dire : A demain les impuissances tapageuses, les amours-propres non moins assourdissans que stériles, les funambulesques efforts ! pour ce soir, j’appartiens à qui me charme, je me laisse faire.

On a de tout temps écrit de beaux traités sur la vieillesse : de senectute ; mais de Cicéron à Mme Swetchine je ne trouve pas d’apologiste qui se soit mis en frais pour célébrer la vieillesse du génie au point de vue du seul agrément que les contemporains en retirent. C’est là un tort, car ces agrémens ont bien aussi leur moralité. Victor Jacquemont disait : « Faites de votre temps ce qu’il vous plaira, et soyez tranquille, personne ne vous en demandera compte quand vous l’emploierez à faire de grandes découvertes en physique, à peindre à la manière de Raphaël et de Corrège ; à faire des statues comme Canova et des opéras bouffes comme Rossini. » J’applique le mot à M. Auber et veux croire qu’il lui sera tenu compte de sa fécondité comme d’une vertu. Égayer trois et quatre générations, leur chuchoter discrètement à l’oreille une intéressante et mélodieuse litanie qui mille et une nuits recommence, tâche heureuse, enviable ! Un septuagénaire est un vieillard fâcheux, un octogénaire déjà est une exception, et quelle exception ! un homme de quatre-vingt-huit ans qui, sans défier l’âge, passe outre, et de la même