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terre. Affaiblie parfois, jamais interrompue, elle n’a cessé d’y faire circuler une sève constamment féconde. Les époques et les révolutions auxquelles les géologues ont donné des noms ne peuvent avoir de valeur que pour introduire quelques grandes lignes de démarcation dans une durée pour ainsi dire incalculable ; mais les êtres se sont toujours succédé sans que l’extinction de quelques-uns d’entre eux ait jamais empêché les autres de leur survivre et de les remplacer. Les révolutions, physiques, essentiellement accidentelles et inégales, n’ont jamais été radicalement destructives. S’il a existé des périodes moins favorables que d’autres au développement de la vie, ces intervalles relativement appauvris ont cependant possédé des êtres organisés qui plus tard, en se multipliant et se diversifiant, ont repeuplé le globe.

La théorie des créations et des destructions périodiques, poussée à ses dernières conséquences par M. Alcide d’Orbigny, n’a plus guère de partisan convaincu ; mais on s’attache assez ordinairement à l’idée que des créations partielles ont dû combler de temps à autre les vides causés par l’extinction successive des espèces. Moins absolue que la précédente, cette doctrine ne repose pas en réalité sur une base plus solide. Au lieu de prouver le fait qu’elle avance, elle le suppose. Lorsqu’elle voit paraître au sein des couches des espèces nouvelles, elle proclame que ces espèces ont été créées au moment même où elles commencent à se montrer ; mais qui peut l’affirmer avec certitude ? Si, au lieu d’être au début de leur existence, ces espèces étaient au terme d’une élaboration obscure et prolongée, comment discernerait-on chez elles les signes d’une création immédiate de ceux qui seraient la conséquence d’un développement graduel ? D’ailleurs le dépôt d’une série de couches ne constitue jamais qu’un accident, et les êtres dont ces couches contiennent les traces ne sont évidemment qu’une bien faible partie de ceux qui ont existé au moment où la couche se formait. Comment saisir, sans quelque preuve plus efficace, l’action de cette force innomée et inconnue qui aurait introduit brusquement, à un moment donné, de nouveaux êtres, dans beaucoup de cas assez peu différens de ceux auxquels ils se substituent ou de ceux auxquels ils se trouvent associés ? Il faut le remarquer en effet, une forme très tranchée, un type sans antécédent, correspondent toujours à des lacunes considérables, et plus une période est explorée, mieux une série organique est connue, plus se multiplie le nombre des types ambigus et des transitions ménagées d’une espèce à l’autre.

On peut citer de nombreux exemples sans franchir les limites du règne végétal. Une foule de plantes fossiles européennes ne sont que la reproduction à peine diversifiée d’espèces que l’on observe encore sur divers points de l’un ou l’autre continent. Des liens étroits,