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latine, l’avaient occupé tout entier. Jamais cependant corps savant n’obéit à une intuition plus heureuse que celle qui guida l’Académie le jour où elle porta ses suffrages sur Victor Le Clerc. L’Académie vit avec une justesse parfaite que toutes les études historiques se tiennent, et que, pour bien traiter le moyen âge en particulier, la première condition est la profonde connaissance de l’antiquité. La méthode avec laquelle les littératures grecque et latine ont été étudiées depuis le XVe siècle est le modèle de toute recherche critique. En outre la littérature du moyen âge a ses racines dans l’antiquité : souvent elle est une décadence de l’antique ; même quand elle est originale, l’antiquité reste la mesure à laquelle il faut la rapporter. L’antiquité est une règle toutes les fois qu’il s’agit des ouvrages de l’esprit ; une irréparable lacune frappe les travaux sur le moyen âge et l’Orient qui ne procèdent pas d’humanistes exercés.

Telle est la raison de ce fait qui surprit beaucoup de personnes, à savoir qu’un philologue classique assez circonscrit jusque-là dans ses goûts, transporté à l’âge de cinquante ans dans le champ des études du moyen âge, s’y trouva du premier coup un critique excellent. D’autres plus jeunes, formés par les leçons de l’école des chartes, l’eussent surpassé peut-être comme paléographe pour la publication des textes inédits ; mais personne n’eût si bien rempli l’objet principal de la collection, qui est le jugement des textes eux-mêmes. L’étude du moyen âge, quand elle est exclusive, est dangereuse. Elle entraîne presque toujours en des admirations exagérées. Tantôt on ne voit que les douceurs de la piété chrétienne, on n’entend que les soupirs mystiques des saints et des saintes ; on oublie le code féroce de l’inquisition, ces massacres, ces atrocités de la persécution religieuse qui n’ont jamais été égalés. Le juste et bon saint Louis, la pure et touchante Marguerite de Provence, nous voilent des scènes d’horreur comme les règnes de Dèce et de Dioclétien n’en connurent pas, des entraves sociales d’une insupportable pesanteur. D’autres fois on s’enthousiasme pour les poèmes chevaleresques, on proclame que ce sont là nos épopées, on soutient que nous eûmes des Achilles et des homérides pour les chanter. On oublie que la forme de cette poésie resta toujours imparfaite, que l’arrêt de mort qui l’a frappée ne peut être de tout point injuste. Ce qui empêche de mourir, c’est le rayon divin de la beauté, ce quelque chose de gracieux, de serein, de charmant, que la Grèce eut en partage, et que le moyen âge, si l’on excepte peut-être les troubadours provençaux de la belle époque, ne connut guère avant Dante et Pétrarque. L’inspiration religieuse au moyen âge fut admirablement grandiose ; mais l’élégance, la