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les bourgeois, les vilains, sont le produit du sol de la France, l’œuvre de ses poètes populaires. La vogue qui leur fit faire le tour de l’Europe était due à la facilité, à la clarté, à l’enjouement, à l’esprit libre et vif qui les animaient. M. Le Clerc retrouva chez ces conteurs oubliés les vrais ancêtres de Rabelais, de La Fontaine, de Molière, de Voltaire. Après Fauchet et Caylus, il prouva d’une manière triomphante qu’au moyen âge tout le monde s’approvisionna en France d’historiettes, d’anecdotes, de contes, de facéties, de même que, jusqu’à ces derniers temps, la France fournit à l’Europe toute sa petite littérature amusante de vaudevilles et de romans. Il montra parfaitement pourquoi les auteurs de ces compositions parfois charmantes, toujours très gaies, ne devinrent jamais des artistes ni des écrivains. Leur situation sociale, qui les réduisit au rôle de mendians, de bouffons et de parasites, leur interdit toute noble visée. De là tant de bassesses et de trivialités, de « vilenies, » comme on disait, où la délicatesse du goût ne corrige pas la licence des sujets. La façon dont M. Le Clerc sut concilier avec les justes exigences du langage poli la nécessité, dans un ouvrage d’érudition, d’être complet reste un vrai tour de force. La partie sacerdotale des innombrables contes qui amusaient les châteaux et les veillées bourgeoises dut surtout être fort abrégée. Les contes dévots sur la Vierge, les anges, les saints, compositions bizarres, mêlant l’amour à la dévotion, où le rire confine à la prière, la farce au sermon, étaient peut-être pour le jongleur une expiation de ces crudités toutes profanes. Elles ne le sont guère pour nous, par le talent y manque d’ordinaire, bien qu’il y ait là plus d’une histoire touchante, animée par une vraie tendresse de cœur.

Les poésies morales et didactiques, les nombreux « doctrinaux, » les « sommes » ou encyclopédies en vers, furent aussi analysés par M. Le Clerc. Ce genre ingrat a bien rarement produit des chefs-d’œuvre ; pour examiner avec autant de soin d’interminables rapsodies, il fallut cette précieuse qualité qui rend l’érudit indifférent à la beauté ou à l’ennui du texte qu’il étudie. Les peines du savant critique furent mieux récompensées dans l’examen des poèmes de circonstance, pamphlets en vers qui étaient récités sur les places, et qui souvent rappellent les charges les plus plaisantes de nos petits journaux comiques. C’étaient les gazettes du temps, gazettes de carrefour, ouvrages de publicistes peu exercés, mais toujours précieux à consulter, parce qu’on y trouve l’impression du moment sur les mille petits faits qui frappèrent le peuple et furent pour lui l’histoire. Tout le monde y comparaît. Pour les rois, pour les prélats, pour les grands, il y a des complaintes funèbres, des saluts d’heureux avènement, des récits de guerre et de tournois, mais