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déterminé pour y parvenir. Ce double obstacle, le positivisme français pense l’avoir franchi. Pour démontrer l’existence dès lois dans l’histoire, il croit qu’il suffit d’arguer de l’analogie entre les sciences physiques et les sciences morales. Puisqu’il y a des lois, dit-il, dans les premières, il y en a aussi dans les secondes. Quant au chemin pour les atteindre, il a découvert, par une sorte d’intuition dont il se félicite ouvertement, que l’histoire se divise en trois grandes époques, la première théologique, la seconde métaphysique, la troisième positive. Sans nous attacher à prouver contre lui qu’à son point de vue un certain ordre dans le monde physique ne suppose pas nécessairement un ordre correspondant dans le monde moral, voilà pour le théorème, et que la loi empirique et provisoire des trois époques ressemble trop à la synthèse préalable des métaphysiciens, voilà pour le problème ; , sans faire ressortir combien au fond il suit de près les philosophies de l’histoire qui ont précédé, et par suite combien il est loin d’avoir élevé son édifice sur une basé aussi ferme qu’il le croit, nous passons sur-le-champ à l’examen des procédés de Buckle, qui s’est efforcé d’établir plus solidement les premières assises de la philosophie positive de l’histoire. C’est là le caractère original, personnel de son œuvre. Par là, nous arrivons au cœur même de ce livre singulier. « Un grand changement a eu lieu, dit M. Stuart Mill dans la dernière édition de sa Logique ; il a été principalement provoqué par l’important ouvrage de M. Buckle, qui a résolument posé ce grand principe, que la suite de l’histoire est soumise à des lois générales qu’il est possible de découvrir ; il l’a lancé avec de nombreux et frappans exemples de ses applications dans l’arène de la discussion populaire, pour y être attaqué et défendu par des combattans et en présence de spectateurs qui ne se seraient jamais doutés qu’il existât un tel principe, si pour l’apprendre ils n’avaient eu d’autre lumière que celle de la science pure. » L’existence de lois dans la succession des événemens humains est établie par Buckle, au moins en apparence, sans le secours de l’analogie, sans hypothèse, par une analyse des faits observés, constatés avec une justesse mathématique. La statistique a été la première à découvrir une frappante uniformité dans les affaires humaines. Buckle a demandé à la statistique les faits dont il avait besoin. Voyons ce qu’il en a tiré.

Un homme commet un meurtre. Ce crime est tantôt le couronnement d’une carrière de désordres et de vices, tantôt il est le résultat immédiat, imprévu sans doute, d’un mouvement passionné. Si le crime est prémédité, le meurtrier prendra toutes les mesures possibles pour demeurer impuni ; il attendra non une circonstance, mais le concours d’une foule de circonstances favorables. Quelle