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universelles gouvernant les événemens de l’histoire ; c’est la première chaîne des raisonnemens par lesquels nous avons passé. Ces lois sont physiques ou mentales, et ces dernières dominent pour ainsi dire exclusivement dans l’histoire de l’Europe ; c’est la seconde. Les lois mentales se divisent en lois morales et lois intellectuelles, et celles-ci l’emportent tellement sur celles-là qu’elles sont la cause et la règle du progrès social ; c’est la troisième. On peut, on doit, à notre avis, se séparer de Buckle sur bien des points ; mais il est aisé de reconnaître dans cet enchaînement d’idées, même dépouillé de l’ampleur des développemens, une singulière puissance.

Il est temps de chercher l’application de ces principes dans l’exemple de quelqu’un des peuples de l’Europe. Si l’on pouvait trouver une nation civilisée où les choses auraient suivi leur cours naturel, qui aurait marché vers le but spontanément, sans subir l’influence étrangère, les volontés des princes et les caprices des hommes d’état, cette nation serait le type le plus pur de la civilisation humaine livrée à elle-même ; mais cette nation n’existe pas. Force nous est de choisir entre toutes celle qui paraît avoir le moins obéi à ces influences variables dont l’effet est de contrarier ou d’altérer le progrès naturel. Buckle a pensé que l’Angleterre, au moins depuis trois siècles, répondait le mieux à cette condition. S’il est vrai que le progrès intellectuel doit être, autant que possible spontané, comme la circulation du sang, les fonctions de l’estomac et autres mouvemens du corps dont nous n’avons pas conscience, notre pays, par exemple, n’a pas été assez livré à lui-même pour être, au jugement de l’auteur, le sujet favorable qu’il cherche. La France n’a pas manqué de liberté religieuse, mais l’intervention du gouvernement en toutes choses a été sa loi constante. Des trois sortes d’ingérence qui augmentent la part des aberrations particulières et des élémens flottans de l’histoire, celle de l’étranger, de la religion et du gouvernement, les deux premières ont été chez nous combattues, la troisième a régné toujours. L’Ecosse a peu connu le régime de l’étranger ; elle a été, elle est toujours peu dépendante du gouvernement, mais l’empire du clergé y est manifeste ; elle a pu renverser sa religion, et cependant l’ingérence religieuse a survécu. L’Allemagne, a secoué depuis peu de temps le joug de l’influence étrangère, mais l’ingérence gouvernementale y fleurit toujours : la Prusse est la terre classique du règlement. Toutes les ingérences possibles. l’étranger, la religion exclusive, la royauté sans contrôle, mais contrôlant tout, se sont donné la main pour arrêter la marche spontanée de la nation espagnole.

Rappeler que l’Angleterre est une île, afin que l’on en tire aussitôt