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résultats elle peut se prévaloir. Pour les positivistes fidèles à l’enseignement d’Auguste Comte, l’Angleterre est toujours l’aristocratique Albion : entre les deux chemins qui conduisaient au progrès politique, l’aristocratie et la monarchie, elle a choisi le premier, qui est à leurs yeux le moins bon. Pour sortir du régime théologique et militaire du moyen âge, elle s’est groupée autour des seigneurs ; c’est ce qu’ils appellent le mode anglais. Le positivisme de l’autre côté du détroit ne pouvait goûter beaucoup le mode français, qui est l’acheminement à la liberté par la monarchie absolue. Un Anglais vient au monde avec l’amour du self-government, un positiviste anglais y tient cent fois plus, et il faut avouer qu’il est bien plus conséquent avec ses principes. Que signifie dans le positivisme français la passion de l’autorité, la prétention de faire du gouvernement un instrument de progrès ? Que devient avec une telle doctrine la confiance dans la marche spontanée des sociétés, la foi dans les lois du développement humain ? Ou ne soyez pas positiviste, ou reconnaissez avec Buckle que ni autrefois, ni aujourd’hui, ni dans l’avenir, le progrès de la civilisation n’a besoin du gouvernement. Faites un pas de plus : reconnaissez que ce que vous appelez le mode anglais devrait vous convenir. Quoi de plus spontané, de plus normal, suivant vos idées, que le développement de l’Angleterre depuis la révolution qui renversa le trône et trancha la tête de l’infortuné Charles Ier ? Cette marche progressive et constante d’un peuple, sans secousses ni péripéties violentes, devrait être la marque d’une civilisation saine et conforme au vœu de la nature.

Nous avons prononcé le mot de self-government. S’il est vrai qu’il résume toute l’histoire d’Angleterre, on entrevoit combien cette histoire laisse peu de place aux gouvernemens dans l’élaboration du progrès. Dès l’aurore des civilisations modernes, l’Anglais apprend à ne compter que sur soi : le self-reliance, ou habitude de se fier en soi-même, a été la base première du self-government. Contre la conquête et contre des rois disposant de tout souverainement, ils se sont associés, ils ont résisté à l’oppression sans se mettre en tutelle, ils ont eu ces grandes et fortes municipalités qui habituent les citoyens à l’exercice du pouvoir ; ils se sont pénétrés de cet esprit d’indépendance et de cette précieuse opiniâtreté qui étonnaient si fort nos ancêtres ; ils ont acquis ce tempérament vigoureux et entreprenant qui les distingue. Quand on s’imagine expliquer tout cela par je ne sais quelles particularités de la race, on fait comme le docteur Gall, qui, pour expliquer le progrès, s’avisa de supposer une amélioration du cerveau dans les nations civilisées. Le self-government joue le même rôle que le scepticisme dans le système de Buckle, mais avec beaucoup plus d’évidence et de