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preuve de cette négation que jamais la régularité des lois de la nature ne se dément, c’est être plus qu’un demi-positiviste. A moins que l’on ne tienne essentiellement à former une secte, ce qui pourrait bien être le cas de cette école, cette légère hérésie de l’existence d’un Dieu qui ne fait rien et n’a jamais rien fait ne suffit pas, à notre sens, pour exclure de la philosophie que l’on prétend fonder l’auteur de l’Histoire de la civilisation en Angleterre. Burckle, tout en parlant d’un Dieu qui ressemble si fort aux dieux d’Epicure, n’est peut-être pas un comtiste, mais jusqu’ici il peut être admis à se déclarer positiviste.

Nous attachons une plus grande importance aux différences de méthode et particulièrement à l’usage de la loi des trois états de la société, état théologique, état métaphysique, état positif. Évidemment Buckle ne fait pas grand fonds sur cette vue historique, et c’est à notre avis, une preuve de bon jugement. Cette vue ne nous semble ni radicalement fausse, ni frappante de vérité. Dans l’état présent des connaissances, elle est vraie à peu près comme dans la physique ancienne la théorie de Thalès, qui croyait que l’eau était le principe de toutes choses. À cette époque reculée, la philosophie de Thalès devait paraître ingénieuse, et ses disciples ont dû, avec plus de respect que de sens critique, la déclarer immortelle. Dirai-je toute ma pensée ? cette vue pourrait bien être née chez Auguste Comte de la lecture trop exclusive d’un célèbre écrivain qu’il cite souvent. On a fait une liste des devanciers du fondateur du positivisme, serait-ce un paradoxe d’y ajouter Joseph de Maistre ? Comme l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, Auguste Comte voit tout le développement humain sortir de l’état théologique ; pour cette époque religieuse et pontificale, il a des complaisances quelquefois touchantes. Ainsi s’expliqueraient certaines affinités imprévues entre quelques esprits positivistes et les études qui ont pour objet le moyen âge. Comme le même écrivain, il est sévère, il est souvent dur pour les purs métaphysiciens. Voltaire ne le trouve pas indulgent ; Rousseau est condamné avec une injustice qui va jusqu’à la haine. Que dis-je ? Auguste Comte, en admirant comme de Maistre le haut talent littéraire de Bossuet, condamne à son exemple l’inconséquence du gallicanisme de l’évêque de Meaux. Il veut, lui aussi, une papauté gouvernant non-seulement les croyances, mais les nations. Il est pontifical dès le principe, et beaucoup plus qu’on ne veut bien le dire : mettez une théocratie matérialiste et humanitaire à la place du catholicisme de Joseph de Maistre, substituez Auguste Comte à Grégoire VII, et le genre humain est sauvé. Quant à la liberté, il convient de la conserver jusqu’à l’organisation de l’état positif, c’est-à-dire jusqu’au triomphe du positivisme. Au-delà de ce moment, pourquoi laisser