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soleil, etc., tout en gardant les valeurs phonétiques touraniennes kur et mat, que les Assyriens appliquaient pour écrire phonétiquement les mots de leur idiome où reparaissaient ces mêmes syllabes. Il y eut à la fois dans le système cunéiforme ce qu’on peut appeler polylogie et polyphonie.

En somme, un signe assyrien étant donné, il est possible de le traduire de bien des manières. Cette latitude laissée au lecteur est la raison des doutes qu’on a émis sur l’exactitude des traductions publiées. Il ne faut pourtant pas qu’on exagère ces difficultés : l’habitude et la sagacité en triomphent ; le tact s’acquiert dans le maniement d’un instrument même défectueux ; une main mal exercée ne réussira point là où l’ouvrier habile créera un produit excellent. Ne voyons-nous pas la langue chinoise, de sa nature si vague, si imparfaite dans ses moyens d’exprimer des idées un peu complexes, qui ouvre la porte à tant de contre-sens, déchiffrée par un sinologue tel que M. Stanislas Julien avec une sûreté qui confond ? La scrupuleuse exactitude de ses traductions a pu être vérifiée par des moyens en quelque sorte matériels, car ce savant a retrouvé dans les traités chinois des procédés industriels qui, expérimentés, ont parfaitement réussi. En assyrien, l’arbitraire dans le choix des sens n’est pas d’ailleurs complet. Certains principes guident : tel signe n’est jamais phonétique ; tel autre au contraire a toujours ce rôle. Le parallélisme des phrases, des formules, aide et éclaire. Les textes se contrôlent les uns par les autres, et les témoignages des auteurs anciens peuvent souvent être d’un grand secours ; les incertitudes se dissipent donc peu à peu, les erreurs graduellement se corrigent. Sans doute les traductions qui ont été données ne sauraient prétendre à la rigueur de celles de textes écrits dans une langue connue avec des caractères alphabétiques ; mais à force d’étude on arrivera, comme on est arrivé pour les hiéroglyphes, à serrer la phrase de plus en plus près. Un fait capital prouve que, malgré d’inévitables imperfections, les traductions tentées dès l’origine de ces études n’étaient pas fort éloignées du sens rigoureux. Ébranlée un instant dans la confiance que les premiers efforts des assyriologues lui avaient inspirée, la Société asiatique de Londres eut l’idée de soumettre leur méthode à une épreuve décisive ; elle demanda aux déchiffreurs de cunéiformes de traduire chacun séparément le même texte. Si l’arbitraire eût jusqu’alors présidé aux interprétations, il était impossible que, sans se concerter, on fût conduit au même sens. Le texte proposé était la grande inscription de Téglath-Phalasar, un des monarques assyriens que la Bible nous a fait connaître. MM. Hincks, Rawlinson, Oppert et Fox Talbot entrèrent en lice ou plutôt en loge ; la traduction de chacun fut envoyée sous pli cacheté au président de la docte compagnie, qui en