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semence que leur confie l’agriculteur. Trente millions d’hommes pourraient vivre à l’aise sur ces magnifiques plateaux, quand même ils ne chercheraient point à profiter des avantages uniques offerts au commerce par l’admirable situation de l’Amérique tropicale, baignée par deux océans à la fois, et déployée comme un ruban de verdure entre deux continens. Il y a quelques années, les états de l’isthme auraient pu, s’ils l’avaient désiré, recevoir une multitude d’immigrans et augmenter dans de grandes proportions le total de leur population. C’était au commencement de l’année 1863, Lincoln venait de lancer la fameuse proclamation qui déclarait libres à jamais les esclaves des planteurs révoltés ; mais le timide et honnête président n’était point rassuré sur les suites de l’acte immense qu’il avait accompli. Inquiet sur le sort des quatre millions d’affranchis que le gouvernement s’engageait à défendre et à nourrir, et peut-être aussi prenant au sérieux les menaces des maîtres, qui déclaraient vouloir exterminer leurs nègres plutôt que de voir en eux des citoyens égaux, Lincoln fit demander aux divers états de l’isthme s’ils recevraient avec plaisir les noirs émancipés. Le refus des fiers Hispano-Américains fut unanime. M. Belly les blâme d’avoir ainsi rejeté le grand élément de prospérité nationale qui leur était offert ; cependant il nous semble incontestable que la justice et la dignité humaine ne pouvaient leur permettre d’agir autrement. Le territoire des républiques de l’isthme est ouvert à tous les étrangers qui abandonnent volontairement leur ancienne patrie, et les nègres y sont accueillis comme les blancs quand ils se présentent de leur plein gré ; mais une transportation en masse, qui n’aurait eu d’autre motif que l’aversion des Yankees pour les hommes de couleur, eût été un crime, et les républicains de l’Amérique centrale, qui sont eux-mêmes presque tous de sang mêlé, ne pouvaient se faire les complices de cette déportation en donnant le sol qui aurait servi de lieu d’exil à leurs frères. Les anciens esclaves des planteurs du sud ont refusé de quitter la terre où ils sont nés, et nulle autre volonté que la leur ne devait être consultée.

Bien que le nombre des étrangers soit encore relativement très faible dans les républiques de l’isthme, ils n’en exercent pas moins une influence considérable à cause des progrès dont le pays est redevable à plusieurs d’entre eux. Au Costa-Rica, où le premier Européen s’établit en 1823, et qu’habitent aujourd’hui près de six cents citoyens d’origine étrangère, ce sont des savans et des ingénieurs allemands qui ont rendu les plus grands services par des explorations géologiques, des tracés de routes, de meilleurs procédés de culture, la fondation de collèges et d’écoles : c’est un Allemand, M. Wallerstein, qui a introduit dans le pays les premiers