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Ces chiffres dénotent une culture portée au maximum, ce qui n’empêche pas M. Fiévet de faire quelquefois des pertes. L’année 1861, par exemple, s’est soldée par un déficit de 34,000 francs ; en revanche, l’année 1857 avait donné un bénéfice presque double de la moyenne.

Après avoir rendu hommage à l’importance et à l’originalité du travail de M. Barral, je dois dire un mot des doctrines qu’il y rattache. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui soit pour la définition des termes, soit pour les conclusions à tirer des faits, et je crois ne pouvoir mieux lui montrer mon estime qu’en discutant franchement ses propositions. En constatant le bénéfice extraordinaire de l’exploitant de Masny, M. Barral ajoute : « Ce bénéfice est porté généralement au-dessous de la rente dans les statistiques agricoles ; à Masny au contraire, il est supérieur, et nous croyons que ce résultat se reproduit dans toutes les fermes prospères. » Si M. Barral s’était borné à dire que plus l’agriculture se perfectionne, plus le bénéfice de l’exploitant grandit, il serait resté dans le vrai ; mais il a trop généralisé ce qui n’est encore qu’une exception. Il y a jusqu’à présent peu de fermes, même en Angleterre, où le profit de l’exploitant dépasse ou égale la rente du sol, et cependant on ne peut nier que beaucoup ne soient prospères. Tout dépend du capital d’exploitation comparé au capital foncier. À mesure que le capital d’exploitation s’élève, le profit monte, et c’est justice. De même la rente du sol ne se règle pas arbitrairement. Le capital appartenant au propriétaire est, dans le plus grand nombre des cas, fort supérieur au capital d’exploitation ; l’un ne rapporte que 2 1/2 ou 3, tandis que l’autre doit rapporter 10 pour 100, et cependant la différence de capital est si grande que la somme des revenus du premier dépasse de beaucoup le revenu du second.

Suivant M. Barral, il n’y a d’autre produit net que le bénéfice de l’exploitant. Ce n’est pas ainsi que les économistes français du XVIIIe siècle ont défini ce mot, dont ils ont fait un grand usage ; d’après eux, le produit net comprend, avec le bénéfice de l’exploitant, la rente et l’impôt. Ce produit se partage en trois, parce que le propriétaire, l’exploitant et l’état ont concouru à le former. M. Barral place la rente et l’impôt dans ce qu’il appelle les charges de l’agriculture. Ce terme peut être usité dans le langage courant, mais il n’exprime pas une idée juste. La rente et l’impôt ne sont des charges qu’autant que le taux en est excessif : dans une juste proportion, ils ne constituent pas plus des charges que le bénéfice de l’exploitant. Supprimez la rente et l’impôt, le propriétaire ne supportera plus aucun de ces frais qu’on appelle des avances foncières, l’état ne fera plus de travaux publics et ne garantira plus justice et sécurité ; tout s’arrêtera. Dans quelle proportion le propriétaire, l’exploitant et l’état ont-ils contribué au produit ? Voilà toute la question ; elle se représente pour les salaires.

On comprend la prédilection de M. Barral pour le chef d’exploitation ;