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n’échappe pas entièrement à la phraséologie déclamatoire qui régnait alors, et qui ne faisait que traduire le plus souvent avec sincérité l’exaltation des sentimens.

Il ne sortait point d’ailleurs, dans l’expression de ses griefs et dans ses conclusions, des termes rigoureusement constitutionnels. On a pu dans la suite rappeler contre Camille Jordan telle page, telle lettre qui lui était échappée alors et qui pouvait à la rigueur le faire ranger parmi les royalistes ; mais il ne le fut jamais dans le sens direct qu’on attache à ce mot, c’est-à-dire à titre de partisan des princes déchus : il put de bonne heure être royaliste de doctrine et partisan en théorie de l’autorité d’un seul ; mais il ne conspira jamais contre la forme républicaine tant qu’elle prévalut. Aucun engagement ne le liait aux Bourbons avant 1814.

De même pour la religion : Camille Jordan était foncièrement religieux ; il plaida en toute occasion pour la liberté des cultes. Tant que dura la révolution, c’était prendre parti pour les catholiques. Il s’exprima souvent comme eût fait l’un d’entre eux : il n’en était pourtant que par le cœur et la sympathie ; il défendait la cause la plus faible, celle des persécutés, en citoyen équitable et juste. Personnellement il était spiritualiste et déiste, et c’était même plus tard un sujet habituel de discussion entre lui et son pieux ami Matthieu de Montmorency, qui eût voulu l’amener à admettre la nécessité de la révélation.

Camille Jordan se trouvait, comme acteur, avec la majorité courageuse des sections à cette journée du 29 mai 1793 qui affranchit le peuple lyonnais et lui permit de se constituer lui-même. Son action, pendant les mois qui suivirent, soit dans les assemblées sectionnantes, soit dans les missions qui lui furent confiées au dehors pour rallier à la ville les provinces voisines, ne nous est connue et indiquée que d’une manière fort générale : il est bien à regretter qu’il n’ait pas pris soin de laisser un récit de ce mémorable épisode révolutionnaire ; nul témoin n’était plus propre à nous en présenter un tableau fidèle autant qu’émouvant. Après un siège héroïque, lorsque la ville succomba, il fut ou de la première ou de la seconde émigration lyonnaise, et parvint à se réfugier en Suisse, où il demeura six mois. De là il passa en Angleterre, où il put assister à la marche régulière et puissante d’un vrai gouvernement représentatif. Il rentra en France dès 1796. Lorsque plus tard, dans la lutte des assemblées publiques, on lui jetait à la face le nom d’émigré, il ne l’acceptait que moyennant explication et commentaire :


« Et qui d’entre eux, s’écriait-il, craindrait de l’avouer ? Où sont les lois qui les condamnent ? quelle est l’opinion qui les accuse ? Un Louvet