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La méthode critique du reste a déjà eu sur les cultes qui nous entourent une influence qu’il est intéressant d’observer. Parmi ces croyances, le judaïsme est sans contredit celle qui pouvait se retrancher derrière l’antiquité la plus respectable, et qui semblait par tempérament le plus nettement vouée à l’immobilité. On ne peut plus aujourd’hui le regarder comme immobile. Minutieusement étudié avec la sagacité froide d’une science armée de défiance, l’indigeste et vénérable Talmud a mal supporté cette épreuve. On ne trouverait guère, à l’heure qu’il est, un juif éclairé qui consentît à croire que cette volumineuse compilation est le fruit d’une révélation directe ou indirecte. Or le Talmud est le commentaire d’une révélation plus ancienne. Les livres où celle-ci était déposée ont été soumis au même examen. Le Pentateuque, attribué longtemps à Moïse, est apparu comme composé de morceaux d’origine et de date diverses réunis en corps d’ouvrage vers le temps de la captivité de Babylone. Ces résultats n’ont en eux-mêmes rien de surprenant ; les monumens de toutes les littératures et de toutes les théogonies primitives ont été formés de la même façon. Ce qu’il faut noter, c’est que les travaux qui modifient si profondément les traditions juives ont été accomplis au sein même du judaïsme. Ce n’est pas sous l’effort d’ennemis extérieurs, c’est par suite d’un travail interne que la synagogue, après avoir traversé sans que ses doctrines en soient entamées tant de persécutions et de siècles, semble appelée à les voir se renouveler peu à peu. Il en est à peu près de même dans le protestantisme. En proclamant le principe du libre examen, les réformateurs du XVIe siècle avaient réservé un point qu’ils entendaient mettre à l’abri de toute recherche, l’origine des livres saints. C’était reculer et non supprimer les barrières que les orthodoxies précédentes avaient élevées contre les audaces de l’esprit humain ; c’était soi-même être orthodoxe. Tel est en effet le nom que se donne aujourd’hui le parti protestant conservateur. Les protestans libéraux ont étudié le Nouveau Testament comme le parti libéral israélite avait étudié l’Ancien, et, par une série de travaux où la précision le dispute à la hardiesse, bouleversé l’ancienne exégèse. Ici encore le mouvement est mené par des hommes sincèrement attachés 5 leur religion et qui déclarent bien haut qu’ils veulent continuer à lui appartenir. Les deux partis existent côte à côte dans l’église réformée, et l’on peut même dire qu’en France leurs forces s’égalisent de plus en plus.

Le libre examen, s’est donc glissé dans ces deux religions au cœur même du culte. Dans le catholicisme, rien de semblable ne se produit, et c’est naturel. Il est de l’essence même du catholicisme de se refuser absolument à toute discussion sur ce qu’il affirme. Il n’a point accepté le débat sur les points d’histoire où la critique avait la prétention d’apporter des lumières nouvelles, et il s’est contenté de resserrer à tout événement les liens de sa forte hiérarchie, d’affirmer avec énergie le principe