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joie eussent salué le jour de la dissolution finale du vaste héritage des Habsbourg ! Aujourd’hui l’opinion publique, non-seulement en France et en Angleterre, mais sur presque tout le continent, s’est complètement modifiée. On est sympathique à l’Autriche ; on désire qu’elle parvienne à surmonter les difficultés qui l’assiègent et à se reconstituer sur la base des principes modernes.

D’où provient ce changement si complet de l’opinion ? Est-ce simplement un sentiment de commisération pour le vaincu ? Non, quand celui-ci a mérité sa défaite, il y en a peu qui le plaignent. Est-ce parce qu’en France quelques-uns espèrent que l’Autriche, après avoir recouvré ses forces, pourra se venger de la Prusse et reconquérir son ancienne suprématie en Allemagne ? Non, car ces sentimens, exclusivement français, n’auraient point trouvé d’écho dans les autres pays. Ce serait d’ailleurs préparer la perte de l’Autriche que de la précipiter dans une nouvelle lutte avec l’Allemagne du nord. La victoire, même la plus complète, pourrait flatter l’orgueil du souverain, elle serait funeste à ses peuples. Les intérêts des populations germaniques du Rhin et de la Baltique sont trop différens de ceux des populations danubiennes pour qu’une même assemblée délibérante puisse les réglera la satisfaction des unes et des autres. Il faudrait donc une autorité despotique, un gouvernement absolu pour maintenir réunis des groupes ayant des aspirations si diverses. Demandez aux Hongrois s’ils souhaitent que celui qu’ils appellent leur roi, replacé à la tête de l’unité allemande, ceigne la couronne de Charlemagne ; tous répondront : non ! car nul d’entre eux n’ignore que la nationalité hongroise serait inévitablement subordonnée aux intérêts allemands. J’ai noté dans un ancien historien des révolutions de la Hongrie le mot suivant : « La Hongrie n’est jamais plus près d’être asservie que lorsque l’empereur est puissant en Allemagne, » et ce mot, résumant l’expérience de deux siècles de lutte, exprime encore la conviction unanime des Hongrois. Tous les Slaves de l’empire, ceux du nord comme ceux du sud, pensent de même. Ils se trompent donc singulièrement, ceux qui s’imaginent que les populations du Danube sont disposées à se jeter sur l’Allemagne pour y rétablir la suprématie de la maison de Habsbourg. Si aujourd’hui l’on désire généralement que l’Autriche sorte rajeunie et reconstituée de la crise redoutable qu’elle traverse, c’est pour des motifs plus conformes à l’intérêt de la civilisation ; c’est parce que l’on croit qu’il lui reste une grande mission à remplir dans l’Europe orientale. Elle y doit faire pénétrer les lumières et la culture de l’Occident, non par l’intermédiaire d’une langue étrangère uniformément imposée ou par l’action de la centralisation administrative, mais par le développement autonome des