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diversités d’origine. Aujourd’hui il sera permis, j’espère, sans risquer la prison, de souhaiter la liberté comme en Autriche. Partout, non-seulement à Vienne, mais dans toutes les provinces et dans tous les idiomes, à côté de journaux où les idées libérales sont défendues avec autant d’éloquence que de mesure, paraissent des feuilles où se font jour, dans un langage acerbe et violent, les ressentimens et les aspirations des partis extrêmes. Chose qui doit surprendre les défenseurs du régime absolu, la tolérance produit l’innocuité des attaques, et ce qui devait perdre l’empire le raffermit. Il y a dans les principes modernes une telle force curative que l’état qui semblait le moins pouvoir en supporter l’application se relève de ses désastres rien que pour les avoir proclamés. Après chacune de ses défaites, l’Autriche retrouve ses forces, parce qu’en perdant une province elle conquiert une liberté, — après Solferino le régime parlementaire, après Sadowa tous les droits des peuples affranchis. Ne dirait-on pas la réalisation du mythe d’Antée ? Chaque fois qu’elle est jetée à terre, sa chute lui communique une vigueur nouvelle. On est vraiment tenté de souscrire au paradoxe si brillamment développé par M. Eugène Pelletan dans ces pages piquantes qu’il a intitulées : Qui perd gagne. Après l’expérience commencée maintenant en Autriche, nul pays, si prudent qu’il soit, ne pourra se refuser à suivre son exemple, car nul ne s’est trouvé exposé à de si nombreuses et de si redoutables difficultés. Des différentes questions que le choc de l’ancien et du nouveau régime a fait surgir, les autres nations n’en ont guère qu’une seule à résoudre ; toutes assiègent l’Autriche au même moment. Rapports de l’église et de l’état, réorganisation politique de l’empire, formes du régime constitutionnel, conflit des races et des langues, relations des nationalités, réformes économiques et douanières, équilibre budgétaire, voilà les points qu’il s’agit de régler, les problèmes dont le sphinx inexorable réclame sous peine de mort la solution. Nous essaierons d’exposer chacune de ces questions, en commençant par celle qui se rapporte à la réorganisation politique de l’empire[1].


I

M. de Metternich se plaisait à dire que l’Italie n’était qu’une expression géographique. C’est à l’empire qu’il gouvernait que ce mot pouvait s’appliquer dans toute sa rigueur. L’Autriche

  1. Ayant été accueilli avec une égale cordialité par les représentans des différens partis, je serais désolé de froisser de justes susceptibilités, mais je crois devoir dire nettement ce qui me parait la vérité. Un étranger est nécessairement moins bien renseigné que les habitans du pays. Le seul avantage qu’il peut avoir, c’est celui de les juger avec moins de passion, et de formuler ses jugemens avec plus de franchise. Cet avantage, je ne pense pas que la crainte de déplaire doive m’y faire renoncer.