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comte de Habsbourg, Tyrol, Kybourg, Goritz et Gradisca ; prince de Trente et de Brixen, marquis de Lusace et d’Istrie, seigneur de Trieste, de Cattaro et de la Marche wende, etc. » Ce n’est point ici, qu’on le remarque bien, un vain étalage de titres pompeux. Tandis que le souverain qui règne sur un état unifié s’appellera roi de Prusse ou roi de France, l’empereur d’Autriche devra énumérer toutes ses possessions, car c’est en vertu d’un droit différent qu’il gouverne chacune d’elles.

La situation actuelle tient par des liens si intimes au passé, qu’il ne sera pas inutile de voir comment tant de pays divers, étrangers les uns aux autres par leur origine, leurs mœurs, leurs lois, leur langue, se sont trouvés réunis sous le sceptre des descendans d’un burgrave suisse. En Autriche, les souvenirs historiques sont encore des réalités vivantes : ils émeuvent les âmes ; en leur nom, on prend les armes, et ils tiennent en échec ceux qui tentent de les méconnaître. En France, un abîme sépare les générations présentes de l’époque antérieure à 1789. S’agit-il de réclamer un droit, jamais ce n’est l’histoire qu’on invoquera, c’est la justice abstraite, l’intérêt général, le bon sens. Ici on en appelle à la nature et à la raison, là-bas à la tradition et à des chartes écrites. Rien n’est plus éloigné de nos habitudes d’esprit que les débats des grands partis nationaux en Autriche. Lisez les manifestes où la Hongrie, la Bohême, la Croatie, ont exposé tour à tour leurs griefs et leurs prétentions : tous résument des procès politiques dont les pièces remontent au moyen âge, tous s’appuient sur des parchemins que recouvre la poussière de plusieurs siècles. Ce qui naguère a mis aux prises les Hongrois et les Croates en faisant couler des flots de sang, c’est qu’ils n’ont pu s’entendre sur le sens qu’il fallait donner aux mots partes adnexœ inscrits dans de vieilles constitutions. Donc, puisque nous ne pouvons nous passer de l’histoire, rappelons aussi brièvement que possible comment s’est formé l’empire, des Habsbourg.

Tandis que la Prusse a grandi lentement, obscurément, grâce à l’esprit d’ordre des Hohenzollern, comme s’accroît l’aisance d’un propriétaire économe qui entasse écu sur écu et joint arpent à arpent, l’Autriche s’est édifiée rapidement, brillamment, comme la fortune d’un fils de. grande maison qui épouse une femme riche et hérite de plusieurs oncles d’Amérique. Après avoir servi dans les armées du roi de Bohême, Rodolphe de Habsbourg était revenu habiter son château héréditaire en Argovie, et les cantons suisses venaient de lui confier le commandement de leurs milices, quand les électeurs réunis à Francfort en 1273 le proclamèrent empereur parce qu’ils ne voulaient plus se trouver sous la main d’un prince