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puis se réunissaient de nouveau, suivant les vicissitudes des mariages, des partages et des luttes à main armée. C’était l’anarchie féodale, dont aucune force organique ne semblait devoir faire sortir un état. Albert d’Autriche s’éleva tout à coup à une grandeur inattendue en réunissant sur sa tête trois couronnes électives (1412), celles de l’empire, de la Hongrie et de la Bohême. Les Turcs, victorieux a Nicopolis et à Semendria, occupant déjà les bords du Danube, on comprit la nécessité de constituer une force assez puissante pour leur résister ; mais au moment où Albert s’avançait pour défendre la Hongrie, il mourut, laissant un fils posthume, Ladislas, proclamé roi de Hongrie à sa naissance et roi de Bohême en 1454. Après lui, une autre branche, celle des Habsbourg de Styrie, arriva au trône impérial avec Frédéric. C’est de la mère de ce prince, Cimburgis, fille du duc Ziemovitz de Masovie, que la maison d’Autriche a hérité de cette lèvre inférieure proéminente qui, transmise de génération en génération, distingue encore tous ses représentans. Cette princesse polonaise était d’une force prodigieuse ; elle enfonçait à coups de poing, dit la tradition, des clous dans les murs, et son mari, le duc Ernest, tué à Sempach, était tellement vigoureux qu’on l’avait nommé le duc de fer. Le titre d’empereur n’apportait à Frédéric aucune puissance réelle. Quand il alla se faire couronner à Rome par le pape Nicolas V, il y arriva presque nu, dépouillé de tout par une bande de voleurs. Avec la couronne impériale, il y reçut aussi celle de Lombardie ; mais il se garda bien de passer par Milan, dont François Sforza ne l’aurait point laissé sortir. La Bohême et la Hongrie lui échappèrent : l’une élit Podiébrad, l’autre Mathias Corvin. Il ne disposait même pas d’assez de forces pour conserver l’archiduché d’Autriche, qu’il se vit contraint de partager avec son frère et un cousin. Il nous est bien difficile de nous représenter cette situation d’un empereur sans états, sans troupes, sans argent, sans autorité effective. Aujourd’hui il n’y a peut-être que celle du mikado, au Japon, qui puisse nous en donner une idée. C’est du mariage de l’archiduc Maximilien, fils de l’empereur Frédéric, avec Marguerite, l’unique héritière des ducs de Bourgogne, que datent la grandeur de la maison d’Autriche et sa longue rivalité avec la France. Le roi de Hongrie, Mathias Corvin, fit à ce sujet ce distique fameux :

Bella gerant alii ; tu, felix Austria, nube,
Nam quæ Mars aliis dat tibi régna Venus.

Pour mieux prouver sans doute que Mars ne favorisait pas l’Autriche, Corvin chassa Frédéric de Vienne et s’y établit. Le pauvre empereur, sans asile, errant de couvent en couvent sans que