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Les fonctions du ministre central des finances se réduisent à celles d’un bon comptable. Il reçoit l’argent des mains des deux ministres particuliers, et il n’a pas à s’inquiéter de la façon dont il est perçu. Le budget est la grande, pour ainsi dire l’unique affaire soumise aux délégations ; mais un budget des dépenses n’a de sens que si l’on peut assurer les moyens d’y pourvoir. Se figure-t-on un ministre proposant au parlement anglais un budget quand tous les impôts devraient être votés par une chambre irlandaise et une chambre écossaise ! L’Ausgleich stipule, je le sais, que les délégations ne doivent rien avoir d’un parlement central, et le but, il faut l’avouer, a été parfaitement atteint. Les dépenses communes sont couvertes au moyen des douzièmes versés par les deux parties ; mais si involontairement l’une d’elles est en retard, si par suite de mauvaises récoltes les impôts ne rentrent pas, que fera l’infortuné ministre qui n’a pas un seul agent sous ses ordres dans aucun des deux pays ? Pour vivre, il devra donc compter sur la bonne volonté des deux ministres transleithan et cisleithan et sur celle de leurs fonctionnaires : que l’une ou l’autre vienne à lui manquer, et tout s’arrête. L’autorité du ministre central de la guerre sera-t-elle plus sérieuse ? Il est chargé de l’armée ; mais le recrutement, le temps du service et l’entretien des troupes, c’est-à-dire toute l’organisation se décide dans les deux assemblées nationales, sur lesquelles l’Ausgleich lui interdit d’exercer aucune influence, et où il ne peut paraître. On ne se figure pas facilement quel peut être son rôle et ce qu’il peut faire d’utile.

Combien la marche des affaires ne sera-t-elle pas lente, difficile, embarrassée, entre ces deux délégations qui ne peuvent discuter qu’au moyen de notes écrites[1] ! Et il faut trois de ces échanges de notes avant que l’une des délégations puisse exiger enfin une réunion où le vote sans débats, le vote muet, brutal, décide en dernier ressort. Entre la coupe et les lèvres, il y a place pour un malheur, dit-on. Entre une proposition et une décision, n’y aurait-il point place pour une révolution ou une défaite ?

Il y a des matières très importantes qui, sans être soumises aux délégations, devront être réglées par voie de traités : ainsi le

  1. Nul, dit-on, n’est plus sensible à l’éloquence et plus éloquent lui-même que le Hongrois. Comment donc se fait-il que, dans les séances décisives où les destinées du royaume-empire sont en jeu, les Hongrois aient proscrit jusqu’à l’usage de la parole ? Cette contradiction s’explique. Dans les séances plénières, les Allemands se seraient naturellement servis de leur langue, et les Hongrois auraient été obligés d’en faire autant, sous peine de n’être pas compris par la moitié de l’assemblée. La lutte oratoire des lors n’aurait pas eu lieu à armes égales, los uns employant leur langue maternelle, les autres un idiome étranger. Voilà du moins la crainte qui a dicté cette étrange disposition de l’Ausgleich.