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caractérisée par le mot barbare d’opus operatum, l’œuvre accomplie ; avec la grande église, il a cru à la magie dit sacrement. Par le consolamentum, le sectaire entrait dans un état d’âme extra-humain, il devenait un parfait, un pur, mot qui a désigné la secte en général. Tourmenté dès lors par le désir d’atteindre son idéal de perfection, la domination absolue de l’esprit sur la chair, il se livre à un ascétisme dont la rigueur a étonné le moyen âge lui-même. L’idée de mortifier le corps pour sanctifier l’âme n’est pas sortie de l’Évangile. Rien n’est plus contraire à la doctrine du maître, qui a voulu « la miséricorde et non le sacrifice, » que le jeu cruel d’un homme qui se torture lui-même. C’est une importation venue des religions de l’Asie, toutes plus ou moins dualistes, toutes reposant sur le dogme des deux natures ennemies. Admettant cet antagonisme non-seulement dans l’homme, mais encore en Dieu, les saints du catharisme poussèrent l’ascétisme beaucoup plus loin que ceux du catholicisme, qui n’a jamais admis un dualisme aussi absolu ; mais c’est la même idée qui domine les uns et les autres, l’idée asiatique des deux natures, dont l’une est mauvaise, et qu’il faut traiter durement, abaisser, faire souffrir.

Sous l’empire de cette illusion, les consolés s’interdisent toutes les douceurs de la vie, jeûnent quarante jours au pain et à l’eau trois fois par an et trois jours par semaine, ne mangent jamais de ce qui a eu vie. Ils diffèrent pourtant des moines et des anachorètes par une activité dévorante pour la propagation de leur foi. Poussés par un zèle incroyable, ils sont toujours en mouvement pour la conversion des- âmes, entreprenant de longs voyages à travers un monde ennemi, marchant nu-pieds ou en sabots, vêtus d’une étoffe sombre, le visage pâle et défait, vivant au jour le jour de la charité des croyans. Le prévôt de Steinfelden tire de la bouche de l’un d’eux qu’il va brûler cette confession : « Nous menons une vie errante et dure, nous fuyons de ville en ville, pareils à des brebis au milieu des loups, et pourtant notre vie est sainte et austère. Elle se passe en abstinences, en prières et en travaux que rien n’interrompt ; mais tout nous est facile, parce que nous ne sommes plus de ce monde. » Insoucians de la vie, ils ne résistent pas à qui veut la leur ôter. Parmi leurs préceptes moraux, celui de ne pas tuer est absolu. Celui qui tue, fût-il un magistrat armé du glaive de la justice, fût-il même dans le cas de légitime défense, est le continuateur de la tradition de Caïn le meurtrier, qui tua son frère et fît l’œuvre par excellence de Satan. Le catharisme fut conduit a cette horreur du sang par un reste de croyance à l’a métempsycose qu’il avait retenu du gnosticisme alexandrin et du manichéisme du IVe siècle. Il croyait que les âmes sont ici-bas en enfer et qu’elles y passent dans