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véritable église de Dieu, et que tous les papes depuis Sylvestre, qui devint un prince temporel par la donation de Constantin, sont des antechrists et des ennemis de l’Évangile. Leurs réponses ne trahissent aucune idée dualiste absolue malgré les efforts des inquisiteurs pour leur faire avouer qu’ils croient à deux dieux. Le dualisme paraît donc avoir été une doctrine d’initiation à laquelle le simple croyant demeurait étranger jusqu’à ce qu’il eût reçu le comolamentum. Si on lui avait demandé le même degré de perfection et de foi, le catharisme albigeois se serait condamné à n’être qu’une société fermée comme les corporations religieuses qui surgissaient diras l’église ; mais, ayant la prétention d’embrasser toute la société civile, il lui fallait élargir ses cadres et s’accommoder à la faiblesse humaine. Il y réussit par ses divers degrés d’initiation.

On entrait dans l’initiation des croyans de deux manières, par l’imposition des mains d’un parfait ou par la cérémonie de la covenenza, sorte de pacte par lequel on s’engageait à recevoir le consolamentum avant la mort. Le sacrement étant dans la croyance occulte le moyen magique de faire rentrer l’âme sous l’empire du Dieu bon, celui qui s’engageait à le recevoir se mettait à la disposition de Dieu. Il n’était pas tenu à la pratique de la morale parfaite : il pouvait se marier, manger de ce qui avait eu vie, porter les armes, faire la guerre ; mais l’engagement qu’il venait de prendre lui inspirait pour les parfaits une vénération qui a fait dire aux écrivains orthodoxes que le croyant albigeois adorait ses ministres. Quand l’un de ceux-ci arrivait dans une localité, tous les croyans s’empressaient de lui offrir le logement, la nourriture ou le vêtement, et de lui demander en retour sa bénédiction, qui était d’un grand prix. Un évêque orthodoxe en tournée parmi ses fidèles lève la main sur la foule et donne libéralement sa bénédiction à tous, à ceux qui la demandent et à ceux qui ne la demandent pas ; mais, d’après le Livre des Sentences de l’inquisition de Toulouse[1], un parfait ne la donnait qu’à ceux qui la lui demandaient. On s’arrêtait pour cela devant lui, on fléchissait le genou et on lui disait : « Bon chrétien, bénissez-moi, » ou bien on posait les deux mains sur ses bras en inclinant trois fois la tête sur son épaule et en répétant autant de fois la demande. L’austérité de sa vie exerçait un prestige qui courbait devant lui l’imagination populaire. Le moine et l’ascète sont les hommes parfaits du moyen âge. L’esprit de cette époque a beau s’emporter et se révolter contre l’autorité religieuse, il se retrouve toujours monacal, et il reproduit jusque dans ses emportemens sectaires le type orthodoxe qui l’obsède. Le parfait

  1. Liber sententiarum inquisitionis Tolosanœ, dans Limborch.