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n’avaient pas recouvré leurs biens confisqués, et ils gagnèrent les vallées perdues, où ils ont formé des colonies maudites connues sous le nom de cagots. Plusieurs historiens, entre autres P. de Marca[1], ont pensé que la secte des cagots était plus ancienne que celle des albigeois, que par conséquent les premiers ne tirent pas leur origine de ceux-ci ; mais dans son Histoire des races maudites en France et en Espagne M. Francisque Michel a publié un document qui donne pour ancêtres des cagots les débris des sectes méridionales. Dans une requête adressée au pape Léon X en 1514, ils lui disent « que leurs ancêtres ont été séparés de la sainte mère église pour avoir fait adhésion à l’hérésie d’un certain comte Raymond de Toulouse. » Une fois éloignés de leurs persécuteurs et concentrés dans les montagnes, ils furent ressaisis par l’esprit sectaire et se livrèrent à des pratiques superstitieuses d’où leur est venu le nom de cagots, changé plus tard en celui de caffos, que l’on donne encore aujourd’hui aux goitreux et aux crétins de la région des Pyrénées. Le type humain et l’intelligence se sont dégradés à travers la longue succession de misères et d’opprobres par laquelle ils ont passé, et ces maudits ont été saisis par l’affreuse affection du crétinisme. Quand le monde comprendra-t-il enfin qu’une religion, quelque élevée et pure qu’elle soit, n’est bienfaisante au point de vue humain qu’à la condition de se renfermer dans le domaine de la conscience ? On est étonné qu’en présence des effroyables oppressions que l’union du temporel et du spirituel a produites à traversées âges, l’état moderne n’ait pas encore rompu ce mariage adultère, et relégué l’église sur son véritable terrain.


III

Tous les sectaires du midi ne purent être réduits à cette condition misérable de pénitens de l’église. Ceux que l’épée des croisés et le bûcher de l’inquisition n’avaient pu atteindre se dispersèrent dans les pays où ils espéraient trouver des sympathies religieuses ou politiques. Dès la première croisade, il se forma deux courans principaux d’émigration, dont l’un se dirigea vers le massif des Alpes, d’où la protestation vaudoise était descendue, l’autre dans la Lombardie, qui avait été la première étape du catharisme dans sa marche sur l’Occident. C’est là qu’il subsista le plus longtemps. Il y résistait encore en 1306 sur le versant italien du Mont-Rosa, où le célèbre cathare frà Dolcino soutint un siège de six ans contre les forces des évêques et des seigneurs guelfes du Novarais et du Verceillais. En Lombardie comme dans le midi de la France, la

  1. Histoire de Béarn, Paris 1640.