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certaines restrictions pratiques qui sont une nécessité de son usage même. Si la capacité n’est pas l’origine du droit, elle en est au moins le signe extérieur. Comme l’a dit Royer-Collard avec sa mâle précision, « le droit est antérieur ; les capacités sont la condition sous laquelle s’exerce le droit commun à tous. » Ajitant nous repoussons ces doctrines grossières et immorales qui ne voient dans la faculté du suffrage qu’un privilège et un fait légal, autant nous craignons de nous confondre avec ces idéaliste, à outrance qui croient que l’usage du droit de voter est inséparable de la personne humaine, et qu’il suffit d’avoir une âme immortelle pour y être appelé sans conditions. Nous fuyons modestement ces hauteurs métaphysiques d’où nous ne pourrions plus redescendre sur la terre. Les raisons qui nous décident sont beaucoup plus humbles et beaucoup plus prosaïques. Peut-être ne sont-elles pas de nature à satisfaire tous nos démocrates ; nous avouons cependant qu’elles nous paraissent plus solides et plus concluantes que les déclamations un peu banales dont se contentent certains admirateurs fanatiques du suffrage universel.

Nous partons de ce fait généralement admis, que le pouvoir politique est la garantie nécessaire des droits et des intérêts privés. Nous nous demandons ensuite comment il peut se faire que cette garantie ne soit pas inséparable du droit qu’elle protège, et qu’elle soit refusée systématiquement à une classe quelconque de la société humaine. Il est évident que chaque citoyen, fût-ce même le plus humble, est un membre de la société. Si pauvre et si chétif qu’on le supposé, il a des droits à faire valoir, des devoirs à remplir, des charges à supporter, des intérêts personnels associés aux intérêts publics, et il ne serait pas juste de lui refuser le moyen de les défendre. Puisqu’une part de son existence est engagée dans celle de l’état, il a le droit d’obtenir en revanche une certaine part d’influence sur les affaires du pays. C’est là une de ces vérités évidentes qu’il suffit d’énoncer pour qu’elles soient prouvées. Personne ne peut contester sérieusement que le suffrage ne soit lui-même un droit, lorsqu’il est la garantie nécessaire de tous les droits du citoyen. Tout va bien tant qu’on se promène dans le jardin des théories ; nulle hésitation, nulle équivoque ne vient obscurcir la lumineuse rigueur des principes ; mais quand on passe à l’application, les difficultés se multiplient, les dangers apparaissent, et peu s’en faut que le droit illimité du suffrage, au lieu d’être une garantie pour les droits de chacun, ne soit au contraire un piège pour la démocratie et la liberté.

Toutes les nations ne sont pas mûres pour pratiquer la démocratie sans restriction. Il y en a peu dont les mœurs politiques soient