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faire pour tirer de cet état de choses et de cette forme politique toutes les institutions et les garanties qu’eût réclamées une France libre, mais apaisée et rangée sous le pouvoir d’un seul chef, magistrat à vie ? L’écrit de Camille Jordan répond complètement à ces questions ; l’auteur les traite à cœur ouvert et les embrasse avec autant de lumière que de franchise. Il discute les moyens, il indique les points essentiels et les articles du programme ; il réfute les objections des empressés et des intéressés, des enthousiastes et des ambitieux, de tous les courtisans de la veille, et enfin il présente sans chimère, en homme d’ordre et de liberté, toutes les conditions, selon lui possibles, mais à la fois indispensables, qui eussent été à remplir, de la part du chef illustre que la France s’était donné, pour consommer l’œuvre de la réparation sociale et pour arriver (le mot déjà est de lui) jusqu’au « couronnement de l’édifice[1]. »

Ceux qui ont prétendu et qui prétendent plus que jamais aujourd’hui que l’empire était implicitement et nécessairement renfermé dans le consulat, que l’un n’a été que la déduction et, pour ainsi dire, l’épanouissement de l’autre, devraient lire cette brochure de Camille Jordan : ils reconnaîtraient peut-être qu’il y avait en réalité deux issues possibles, que l’esprit du temps et la nature des choses ne commandaient pas l’une plutôt que l’autre, et que ç’a été surtout dans le caractère et la toute-puissante personnalité du chef qu’a été la raison dominante et invincible de la solution qui a prévalu.

Je ne rappellerai de cet écrit peu connu, non réimprimé depuis, que l’entrée en matière et l’exorde ; on aura du moins le ton, on prendra une juste idée de l’homme qu’admira et qu’aima Mme de Staël :


« Et moi aussi, homme indépendant, j’ai suivi la foule : j’ai voté pour le consulat à vie. Mais, déterminé en effet par des motifs plus hauts que ces votans que pousse au hasard l’adulation ou l’exemple, j’ai besoin de marquer, dans une conduite semblable, la différence des vues ; il m’importe que ma pensée entière soit connue : n’ayant pu la consigner sur un registre, je la déposerai dans cet écrit.

« Que parlé-je, au reste, de mon vœu personnel ? J’ai le bonheur de le pouvoir dire, c’est celui de nos plus vrais citoyens, de tous les hommes faits, par leurs lumières et leurs vertus, pour servir de guides à l’opinion. J’ai parcouru leurs honorables rangs, j’ai recueilli leurs libres sentimens, je n’en suis que l’organe, et c’est en leur nom que j’offre à la nation et

  1. Page 46 de la brochure.