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travailler les métaux, aujourd’hui l’une des principales sources de richesse pour l’Angleterre, lui vient en grande partie de l’étranger ? Ce sont des réfugiés de Liège qui, après s’être fixés à Shotley-Bridge, dans le voisinage de Newcastle, introduisirent le secret de faire l’acier. D’autres habiles artisans en métallurgie s’établirent à Sheffield, où ils obtinrent la protection du comte de Shrewsbury à la condition de prendre des apprentis anglais et de leur apprendre le métier. Telle fut l’origine des travaux de fer et d’acier qui font encore aujourd’hui la gloire et la fortune de cette ville. Ne suffit-il point d’ailleurs d’avoir vu en Belgique les admirables ferrures qui décorent les cathédrales de Gand et d’Anvers pour se faire une idée du degré de perfection auquel étaient arrivés les Flamands dans ce genre d’ouvrage ? Ils étaient aussi renommés comme horticulteurs, et quelques-uns d’entre eux transformèrent Wandsworth, Battersea et Bermondsey en autant de jardins qui depuis n’ont cessé d’approvisionner de légumes et de fruits les marchés de Londres. S’il faut en croire certaines traditions, le houblon lui-même, cette plante aujourd’hui bien anglaise, aurait été naturalisé par des Wallons qui en auraient recueilli les boutures dans l’Artois. Je ne finirais pas si je disais tout ce que la Grande-Bretagne dut alors à ces réfugiés représentés par le Vatican comme les pires des hommes, omnium impestissimi. Leur concours n’a point été la seule cause de la grandeur qui distingue le règne d’Elisabeth ; mais l’importation des arts utiles y a très certainement contribué. L’ordre se rétablit dans les finances ; la nation, d’abord indécise et partagée, se rangea résolument sous l’étendard du protestantisme, et l’âge d’or de la littérature anglaise naquit de la liberté de penser. D’un autre côté, la flotte britannique arracha pour jamais aux Espagnols le sceptre des mers ; ses vaisseaux de commerce commandèrent la grande route des Indes et du Nouveau-Monde. Certes les conséquences permettent aujourd’hui de juger les deux systèmes politiques, celui d’Elisabeth et celui de Philippe II : grâce à une certaine liberté d’examen en matière de foi, l’Angleterre inaugura chez elle le règne de la science et de l’industrie ; on sait ce qu’est devenue l’Espagne.

Les Anglais avaient assez souffert eux-mêmes des persécutions religieuses pour compatir aux maux des étrangers que l’exil jetait sur les côtes de leur île. Ils se souvenaient alors de Wiclef, dont les os avaient été déterrés et consumés par le feu. C’était, je l’avoue un pauvre supplice ; il eût été bien plus édifiant et plus conforme aux saines doctrines que cet hérétique eût été dévoré tout vivant par les flammes ainsi que Jean Huss et Jérôme de Prague ; mais, que voulez-vous ? on brûle ce qu’on a. En revanche, n’y avait-il point à Londres, sur les bords, de la Tamise, la tour des Lollards, dont les pierres racontaient plus d’une lugubre chronique ? Du