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pourtant une entreprise difficile et hasardeuse qui se trouvait assimilée de par la loi à un crime d’état Un premier édit avait prononcé contre les fugitifs la peine des galères à perpétuité et la confiscation de leurs biens ; un second les frappa de la peine de mort. Vaines défenses, inutiles menaces ! rien ne put arrêter le flot toujours grossissant de l’émigration. Louis XIV ne voulait point chasser les protestans, il prétendait au contraire les garder et les convertir ; mais, en leur rendant intolérable la vie dans leur pays, il alla directement contre les desseins de sa politique. Les côtes avaient beau être surveillées, des vaisseaux de guerre transformés en vaisseaux de police avaient beau croiser sur les mers qui entourent le nord et l’ouest de la France, de nombreux fugitifs trouvèrent chaque jour moyen de passer à travers les mailles du réseau de fer dans lequel on voulait les retenir. Les pasteurs, bannis par la révocation de l’édit de Nantes, avaient ouvert la marche ; ils furent bientôt suivis de leur troupeau. Derrière eux, ils ne laissaient que les nouveau-nés arrachés du sein de leur mère pour les élever dans la foi catholique. Les huguenots vendaient à vil prix leurs biens, leurs maisons, et avec le peu d’argent qu’ils avaient recueilli se disposaient à quitter le royaume. Cachés le jour dans les granges, ils voyageaient pendant la nuit, et à travers des routes désertes, de sombres forêts ou des sentiers de montagne, réussissaient le plus souvent à gagner la côte ou la frontière. Les femmes se déguisaient en hommes, coupaient leurs cheveux, se teignaient le visage pour désarmer les soupçons, et grâce à des miracles d’héroïsme allaient retrouver leurs maris qui les attendaient dans l’exil. Chaloupes, barques de pêcheurs, tout ce qui flotte leur était bon pour passer la mer. On évalue à quatre cent mille le nombre des protestans qui se dérobèrent par la fuite à un régime de persécution. La plupart d’entre eux étaient de zélés calvinistes ; d’autres, tels que Bayle et Huyghens, étaient des indifférens en matière de religion, des philosophes, mais qui pour rien au monde n’auraient voulu se soumettre à l’indignité d’une abjuration lâche et hypocrite. Ils se réfugièrent en Suisse, en Allemagne, en Suède, partout où ils espéraient rencontrer un asile. Comment auraient-ils perdu de vue les deux états dont l’existence était désormais identifiée à la cause de la réformation, la Hollande et l’Angleterre ?

Il s’en fallait pourtant, de beaucoup que les circonstances politiques se montrassent favorables dans la Grande-Bretagne aux réfugiés huguenots. Jacques II régnait ; il était monté sur le trône l’année même où Louis XIV avait révoqué l’édit de Nantes. On savait quels liens de sympathie l’unissaient à la cour de Versailles. Sous le masque du protestantisme, il dissimulait assez mal ses préférences pour un autre culte. Les parlemens d’Angleterre et