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par la Cité de Londres à la chambre des communes, où beaucoup de noms trahissent aujourd’hui même une source toute gauloise : — Paget, Jervoise, Labouchère, Layard, Lefèvre, etc.. Les protestans français se sont en outre mêlés à l’aristocratie anglaise au moyen des alliances et des mariages. C’est ainsi que la famille des Ruvigny se greffa par les filles sur celle des Russell. La reine d’Angleterre elle-même a du sang de huguenots dans les veines, car elle descend de Sophie-Dorothée, petite-fille du marquis d’Olbreuse, un seigneur du Poitou qui se réfugia dans le Brandebourg après la révocation de l’édit de Nantes.

Il y a eu des momens dans notre histoire où l’idée de la France était à l’étranger. Que réclamaient les huguenots du XVIIe siècle ? La liberté des cultes, le droit d’examen en matière religieuse, autant de conquêtes que proclama plus tard en 1789 l’assemblée constituante. On sait ce que perdit la France à trop longtemps combattre sur ce terrain le vœu des populations éclairées. La ruine de notre commerce, de notre industrie et de nos fabriques n’est encore rien, comparée à l’abaissement des caractères et à cet obscurcissement moral qui attrista la fin du règne de Louis XIV. Ce roi avait-il du moins réussi à servir chez lui la cause de Rome et de l’unité religieuse ? Non, car après sa mort, les esprits indépendants se réfugièrent dans la philosophie, et les cœurs fiers dans la révolution. ici M. Smiles se place à un point de vue beaucoup trop protestant : dans l’émigration des prêtres et des nobles, dans la fermeture des églises catholiques, dans l’échafaud de Louis XVI, il ne voit guère qu’une suite de châtimens attirés sur la monarchie par la révocation de l’édit de Nantes. En général les Anglais n’entendent rien du tout à nos affaires, et pourtant ils connaissent notre langue beaucoup mieux que nous ne connaissons la leur ; voyageurs attentifs et consciencieux, ils ont visité dans notre pays des lieux que n’ont jamais vus beaucoup de Français ; ils ne sont entièrement étrangers ni à notre littérature, ni à nos usages, ni à nos mœurs. Ce qui leur échappe, c’est, si l’on peut ainsi dire, l’âme des faits, ce sont nos tendances philosophiques et nos vraies traditions nationales. Je pense également que l’auteur anglais s’est trompé quand il déclare l’émigration royaliste de 93 entièrement stérile, « parce qu’elle était composée d’oisifs. » À ces chevaliers errans de l’ancien régime, dont quelques-uns donnèrent d’ailleurs l’exemple de la fidélité à une cause vaincue, succédèrent bientôt des hommes qui avaient d’abord sympathisé avec la révolution. Je ne croirai jamais que des esprits comme Dumouriez, le duc d’Orléans, Mme de Staël, et je pourrais certes en citer bien d’autres, ont passé sur la terre d’exil sans y laisser de traces. N’eussent-ils fait que désarmer certains préjuges nationaux, n’eussent-ils servi qu’à