Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir ; il sortait victorieux de la crise, et il en profitait même pour reprendre une affaire momentanément oubliée avec intention, pour briser la résistance de M. Katkof, qui continuait à ne pas vouloir des avertissemens qu’on lui prodiguait. Des deux adversaires officiels que M. Katkof poursuivait depuis si longtemps, l’un venait de tomber en partie sous ses coups, l’autre en revanche le frappait en suspendant pour deux mois la Gazette de Moscou, La déception suivait de près le triomphe pour l’intraitable journaliste. Il n’est pas moins vrai qu’il devenait assez difficile de comprendre ce système, d’un côté donnant des gages au parti ultra-russe, de l’autre réduisant au silence son plus vigoureux organe. C’était la suite inévitable de ce dualisme qui subsistait après comme avant la crise du mois d’avril, qui est resté et reste encore aujourd’hui la clé de la politique officielle de la Russie dans ses évolutions successives. En réalité, après les changemens qui venaient de s’accomplir, quel était le caractère de ce gouvernement ainsi renouvelé ? quels personnages le composaient, et quelle était la part des influences diverses qui s’agitaient dans les conseils du tsar ?


II

Dans cet ensemble d’hommes formant un gouvernement sous un maître, il y avait ceux qui ne représentaient rien et ceux dont la présence au pouvoir avait assurément quelque signification. Le président du conseil ou plutôt du comité des ministres, le prince Gagarin, était un vieillard vert encore, doué d’intelligence et de capacité, mais avant tout bon courtisan, facilement disposé à tout pour plaire, et au fond inclinant naturellement par son âge vers les idées de réaction. Le vieux comte Adlerberg, toujours ministre de la cour, n’était plus qu’une ruine, une ombre du passé, un demeurant du règne de Nicolas. Le ministre des postes, le comte Jean Tolstoy, n’avait guère plus d’importance politique que le ministre de la justice, M. Zamiatine, congédié depuis et remplacé par le comte Pahlen. Le ministre des domaines, le général Zelenoi, était un protégé de Mouraviev. Des anciens amis du grand-duc Constantin appelés au pouvoir il y a quelques années, avant l’insurrection de Pologne, le ministre des finances, M. Reutern, se maintenait seul encore, jouant d’ailleurs un rôle assez pâle, et on lui donnait pour adjoint le général Greigh. Sur ce fond assez effacé se détachaient les personnages essentiels, réellement influens.

D’un côté, c’était M. Nicolas Milutine, devenu ministre secrétaire d’état pour les affaires de Pologne. Celui-là certes représente quelque chose ; il a des amis, des cliens, sans être un grand seigneur, et il marche résolument à son but, qui est la création d’une vaste