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allemande dans les bureaux d’administration. Cette mesure a été adoptée il y a moins d’un an, pendant le voyage de l’empereur Alexandre à Paris. Elle a froissé d’autant plus la population qu’elle est la violation d’un droit consacré par les traités mêmes d’annexion des provinces baltiques, et qu’elle est le signe sensible des desseins toujours poursuivis par la Russie. Dernièrement la diète de la Livonie a protesté contre cette introduction forcée de la langue russe dans l’administration. Le gouverneur-général des trois provinces, M. Albedinsky, a conseillé à l’empereur de ne pas recevoir une députation chargée d’aller lui remettre une adresse dans ce sens, et c’est ce qui a eu lieu. D’un autre côté, le gouverneur civil de la Livonie, M. Auguste d’OEttingen, Livonien de naissance, homme de mérite en même temps que patriote des plus modérés, estimé de tout le pays, a été destitué pour avoir eu le courage de défendre le vote de la diète. Son successeur s’appelle Lysander ; il est de religion russe et naturellement prêt à pousser la guerre contre l’élément germanique tant qu’on le voudra à Pétersbourgr Une des conséquences de ce système est de susciter partout des questions extrêmes, sous prétexte de patriotisme, au nom de je ne sais quel esprit de nationalité aussi vague que superbe, menaçant pour les plus simples et les plus légitimes instincts d’indépendance morale.

Qu’on se représente la politique russe sous un autre aspect, dans ce qu’elle a de plus particulièrement intérieur. Ici sans doute je ne veux pas dire que le règne de l’empereur Alexandre II n’ait été marqué par un progrès aussi considérable qu’inattendu. Il suffirait de songer à ce qu’était la Russie il y a vingt ans encore et de voir ce qu’elle est aujourd’hui pour comprendre quel chemin a été fait. Il y a vingt ans, une Russie silencieuse, morne, en apparence indifférente, menaçante seulement par son poids et sa masse ; aujourd’hui, une Russie remuée, agitée, intervenant par la parole comme par l’action. Est-ce un progrès réel et sûr qui s’accomplit ? C’est du moins un vaste travail où toutes les questions se débattent, et c’est dans ce travail même que l’esprit russe se surexcite, s’anime à toutes les ambitions. Évidemment de sérieuses réformes ont signalé ces dix dernières années, et, n’y eût-il que celle qui a émancipé vingt-cinq millions d’hommes amortis dans la servitude, elle suffirait à rehausser un règne, indépendamment des conséquences immédiates qu’elle peut avoir, et qui sont visiblement aujourd’hui un des embarras de la Russie. D’autres réformes sont venues depuis, comme une suite naturelle de la première. Tout un système d’assemblées locales a été organisée C’est en 1866 même que de nouvelles institutions judiciaires ont été pour la première fois mises en pratique.

Malheureusement le progrès est souvent un mirage en Russie. Ce