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lumière électrique, se draper dans son linceul et faire le beau sur une ritournelle caractéristique de la plus joviale ironie. Alfred de Musset, parlant de la sérénade que chante don Juan sous le balcon d’EIvire, expose en des vers charmans l’antithèse qu’on croit saisir entre la voix et l’accompagnement :

On dirait que la chanson caresse
Et couvre de langueur le perfide instrument,
Tandis que l’air moqueur de l’accompagnement
Tourne en dérision la chanson elle-même
Et semble la railler d’aller si tristement.

J’imagine qu’en attachant aux pas de son fantôme ce motif tout guilleret qui psalmodie sur une seule note, le musicien aura pensé au spirituel persiflage de Mozart. C’est de la musique imitative à la fois et explicative : imitative en ce qu’elle frappe à petits coups sourds, mesurés, comme quelqu’un qui demande qu’on lui ouvre, explicative en ce sens qu’elle nous donne un commentaire tout à fait original sur l’ombre du feu roi. En vain le spectre coiffé, damasquiné, raconte sur le théâtre ses mésaventures conjugales ; le petit motif plaisant et sournois dans l’orchestre nous avertit de ne pas croire un mot de son discours. Nous sommes sur la plate-forme ou dans l’appartement de la reine Gertrude ; tout de suite nous nous souvenons de Shakspeare et nous préparons à prendre au sérieux l’épouvante et la tragédie. C’était compter sans la musique, qui se moque bien de notre émotion et nous dit dans sa ritournelle : « Mais vous n’y pensez pas, ce feu roi n’est qu’un vieux Cassandre, une de ces « belles têtes de vieillards » qui radotent, un mannequin bourré de paille, qui, placé dans un cerisier de Montmorency, n’effraierait même pas les moineaux. » Qu’un pareil dynaste reparaisse au dénoûment pour y commettre cette bévue de placer la couronne sur la tête d’Hamlet, c’est dans l’ordre. Un joli règne en vérité qui s’ouvre là pour le Danemark ! Hamlet roi ! mieux vaudrait cent fois Claudius, car ce coquin du moins s’entend aux affaires ; il en a le goût et la pratique, tandis que ce pauvre Hamlet, un rêveur, un hypocondriaque de génie qui n’a jamais su se gouverner lui-même, que fera-t-il de l’empire, justes dieux ! et qu’est-ce que l’empire fera de lui ? On n’en finirait pas à vouloir relever toutes les variantes. Ainsi dans Shakspeare Hamlet se détache d’Ophélie, qu’il n’aime pas ou qu’il n’aime plus, et s’éloigne sans motif bien déterminé, tout simplement pour obéir à sa destinée, qui l’appelle ailleurs. Or cette donnée, évidemment trop ordinaire, ne suffit point au libretto, lequel, mettant au premier plan les amours du jeune prince avec la fille de Polonius, faisant d’Hamlet un Roméo et d’Ophélie une Juliette, se trouvait dans la nécessité de corser un peu l’anecdote. Reconnaissons tout de suite que l’invention est sans