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tentées de suivre notre exemple ; mais nous avons peine à nous élever jusqu’à cette hauteur philosophique où les considérations de patrie disparaissent : nous ne pouvons nous résigner à assister, les bras croisés et avec un désintéressement stoïque, à la ruine de notre pays. Il nous est impossible de ne pas souhaiter que la France se rattache franchement à la seule forme de gouvernement qui puisse encore lui convenir, et de ne pas. consacrer tous nos efforts à l’en rendre digne.

Si le danger était aussi grand que certains esprits chagrins aiment à le croire, la France, il faut l’avouer, jouerait un rôle bien ridicule et bien lâche. Elle ressemblerait à un navire en détresse dont l’équipage se laisse sombrer tranquillement, sans même avoir l’esprit de mettre une chaloupe à la mer, sans même essayer de se faire un radeau solide avec les débris du naufrage. Elle ferait comme une armée endormie dans son camp à l’heure même où l’ennemi la menace, et qui lapide, au lieu de se défendre, les hommes vigilans qui l’ont avertie. Nous ne voulons, quant à nous, ni contribuer, à entretenir ces frayeurs puériles, ni montrer aucune indulgence pour ce volontaire aveuglement. Au risque de passer aux yeux des conservateurs pour des anarchistes et des démagogues, nous ne nous lasserons pas de leur répéter que la démocratie est le seul espoir de la France, et que le salut du pays est dans leurs mains.

Rien n’est plus faux que cet esprit de système qui attache a priori le bonheur ou le malheur des peuples à telle ou telle forme de gouvernement. Le sort des gouvernemens dépend encore moins de leur principe que de la manière dont on les pratique et dont on sait en tirer parti. Quand la bourgeoisie française se voile le visage au seul nom de la démocratie, elle est comme un homme qui fait un mauvais rêve et qui se cache la tête pour ne pas voir l’objet de ses terreurs imaginaires, tandis qu’il lui suffirait d’ouvrir les yeux pour le faire évanouir. Il est temps d’en finir avec l’épouvantail suranné du spectre rouge ; il est temps que la bourgeoisie française se lasse d’être dupée par ces conservateurs qui spéculent sur ses craintes et sont au fond ses pires ennemis ; il est temps qu’elle se décide à sortir du sac de Scapin.

Ce n’est pas l’avènement de la démocratie qui nous donne les plus grands sujets de crainte. Ce qui doit nous inspirer de plus vives alarmes que le règne définitif du suffrage universel, c’est le maintien de la confusion déplorable où la société française est tombée par le fait de ses révolutions trop fréquentes, et dont peut seule triompher l’habitude de la liberté ; c’est la contradiction qui partout s’y rencontre entre les idées et les choses, entre les principes et les mœurs, entre les institutions et les hommes ; c’est ce mélange