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liberté. Nous voudrions que la France conservatrice, au lieu de se laisser traîner avec répugnance à la suite de la démocratie victorieuse, comme une esclave enchaînée au char du triomphateur, se mît bravement à la tête. du progrès libéral. Nous voudrions la voir agir au lieu de trembler et de dormir. Quand par hasard elle se réveille de la torpeur où elle est plongée, c’est pour jeter sur l’avenir un regard d’épouvante, c’est pour s’écrier que la société est perdue, et qu’il faut opposer au fléau de la démocratie cette résistance désespérée qui ne sert qu’à retarder les catastrophes sans pouvoir les prévenir. Elle ne voit pas que le danger est dans la terreur même qui la paralyse et dans la lâche inaction qui l’étiolé.

Oui, la bourgeoisie française est perdue, si elle persévère dans son insouciance et dans son inertie, si elle ne sait que tendre au pouvoir des mains suppliantes en l’implorant comme un sauveur, si au continuel progrès des classes populaires elle ne sait opposer qu’un désespoir stupide ou une résignation plus stupide encore ; si aux illusions et aux ambitions juvéniles de la démocratie elle ne répond que par l’emploi de la violence et par l’invocation du sabre, si elle s’en fait détester par ses provocations maladroites et mépriser. en même temps à cause de sa peur. Alors la démocratie la supplantera, lui passera impitoyablement sur le corps ; alors la bourgeoisie sera écrasée, à moins pourtant qu’elle n’aille au-devant de la servitude, et qu’elle ne tende elle-même le cou au joug de ce nouveau maître. Si au contraire elle envisage résolument l’avenir qui lui est réservé, si elle accepte la démocratie avec franchise, si pour la modérer elle sait lui emprunter ses propres armes, si elle renonce à. toute autre influence que celle de la justice et de la raison, alors, bien loin d’être perdue, nous osons dire que la bourgeoisie ne courra plus aucun danger. Elle se rendra nécessaire à la démocratie, elle jouera le rôle auquel l’appellent naturellement sa position et ses lumières, le rôle de conseillère et de guide du peuple ; elle pourra même ressaisir par ce moyen une grande partie de son autorité perdue. Les classes moyennes ne sont pas si désarmées qu’il leur plaît de le dire pour justifier leur découragement et leur mollesse. Elles ont pour soutien l’immense majorité conservatrice de la France, et elles auront pour alliée la démocratie tout entière le jour où elles voudront combattre avec elle pour la revendication de nos libertés. Qu’ont-elles enfin de si précieux à perdre ? Que leur reste-t-il aujourd’hui à défendre qu’elles n’aient pas abdiqué d’avance en proclamant le suffrage universel, ? Nous connaissons déjà tous les inconvéniens du gouvernement populaire, nous n’en connaissons pas les avantages. Il faut choisir entre la démocratie avec toutes ses conséquences libérales et l’emploi systématique, indéfini, du