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bannières particulières à leur négoce, les simples artisans portaient les insignes de leur profession. Innombrable était la foule des spectateurs qui, échelonnés sur les collines environnantes, se tenaient respectueusement à distance, et, la tête découverte, souhaitaient la bienvenue au saint-père par leurs acclamations. Un beau soleil couchant éclairait cette scène ; le pape en parut saisi de surprise autant que d’attendrissement, car cet accueil des Niçois lui rappelait d’une façon inattendue celui qu’il avait jadis rencontré à son entrée en France, lorsque, traversant le Rhône à Lyon, il se rendait à Paris afin de couronner l’empereur. Traversant à pied le pont de bateaux, dont la longueur était considérable, Pie VII rencontra à l’extrémité l’ancienne reine d’Etrurie, qui avait voulu être la première à se précipiter à ses genoux. La ferveur tout espagnole avec laquelle cette princesse dépossédée de ses états se mit à solliciter pour elle et pour ses deux enfans la bénédiction du malheureux pontife errant et prisonnier frappa vivement la multitude, et ce fut au milieu de l’émotion générale que, suivi de tous ceux qui s’étaient portés au-devant de lui, Pie VII fit à la nuit tombante son entrée à Nice, dont les rues étaient toutes parsemées de fleurs. Quelques instans après son arrivée, les maisons s’étaient illuminées comme par enchantement. Il en fut ainsi tous les soirs pendant les trois jours que le saint-père passa dans cette ville. Ce furent trois jours de véritable fête. Après avoir erré sur les places publiques à la façon italienne, des bandes de villageois venaient le soir, grâce à la douceur du climat, bivouaquer à la belle étoile autour de la maison du pape, et de temps à autre d’une voix pieuse et triste entonnaient des hymnes sacrées sous ses fenêtres. Lorsque Pie VII quitta Nice pour suivre la route à peine ébauchée de la Corniche, il trouva partout sur son passage les jolies villes du littoral, Monaco, Oneglia et Finale, coquettement pavoisées de drapeaux. Les habitans de la côte avaient construit à la hâte des ponts provisoires en bois et en feuillage sur les torrens les plus difficiles à franchir. Dans les endroits véritablement dangereux, où la litière du saint-père aurait eu peine à passer, les marins en dételaient les chevaux de force et revendiquaient pour eux-mêmes l’honneur de la porter. Si la nuit surprenait le cortège pontifical, des feux s’allumaient à l’instant sur les points de la route qui restaient à parcourir, et des porteurs de torches couraient en avant pour éclairer les pas des chevaux. Loin de se ralentir, ce concours des populations avait toujours été en grandissant jusqu’à l’arrivée du pape à sa destination. Soit donc que l’on consulte les rapports officiels des autorités impériales, soit que l’on s’en rapporte aux relations manuscrites laissées par les Italiens de la suite de Pie VII ; soit enfin qu’on prête plus volontiers créance aux souvenirs traditionnellement conservés dans les pays