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romains et vantait le bonheur que les gens du pays avaient éprouvé à se voir réunis à l’empire français, il n’était plus question que des provinces du nord et du midi de l’Italie. Ce qui s’était passé aux bords du Tibre, l’assaut donné au Quirinal, la main mise sur la personne du pape, c’étaient là autant d’événemens que les lecteurs de la feuille officielle devaient ignorer complètement. Quand le Moniteur se taisait, quel journal aurait osé parler ? Le mot d’ordre avait été donné partout. Afin d’obéir à la consigne générale, la feuille préfectorale de Grenoble, où la présence du saint-père avait jeté tant d’émoi, avait dû rester également muette, comme si rien ne s’était passé dans ses murs. Cependant le silence lui-même ne parut pas encore suffisant à Fouché.

En dépit de tant d’efforts, la nouvelle avait transpiré ; au conseil d’état, composé des plus dévoués serviteurs de l’empire, elle avait été accueillie avec une sorte de stupeur. M. Regnault de Saint-Jean d’Angely lui-même, malgré son hostilité connue contre la puissance ecclésiastique, se tut quand on la lui annonça et baissa tristement la tête. La société parisienne, déjà façonnée à l’habitude d’assister avec une impassibilité au moins apparente à tant d’actes d’oppression et de violence, s’était étonnée tout bas d’une mesure qui portait à un si haut degré le caractère de la force opprimant la faiblesse, et qui était entachée à ses yeux d’une si monstrueuse ingratitude. Contre cette opinion, d’ailleurs soigneusement cachée, des fonctionnaires publics et des cercles bien informés, il n’y avait rien à tenter. De ce côté, la police impériale était sans prise. D’après les instructions si précises de Napoléon, l’important était d’empêcher la masse de la nation et surtout le bas clergé de s’occuper d’un sujet qui commençait à émouvoir les classes élevées de la société. Comment y parvenir ? Assurer officiellement que le pape n’avait pas quitté Rome, c’était impossible. Il était également malaisé de nier absolument qu’il eût mis le pied en France. Quel moyen d’accréditer la version que l’empereur désirait répandre, à savoir que Pie VII s’était de son propre mouvement transporté à Savone ? Il y fallait renoncer. Pour dérouter au moins les masses populaires, et pour mieux leur persuader qu’il n’y avait pas le moindre fondement aux bruits malveillans que les vieux partis faisaient courir sur sa prétendue arrestation et sur le séjour momentané qu’il aurait fait à Grenoble, l’esprit inventif de Fouché s’était avisé d’un expédient des plus étranges. Au moment où la curiosité des nouvellistes de la capitale était le plus excitée, alors que chacun était avide de savoir comment le Moniteur prendrait sur lui de s’expliquer sur les pérégrinations du saint-père, le ministre inspirateur du bureau de l’esprit public jugea opportun de faire insérer dans la feuille officielle une lettre datée de Grenoble le 1er août 1809. Le