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ce que vous avez lu plutôt que la traduction des odes de Klopstock. — (Malheureusement mon premier volume est tiré.) Mais ce n’est pas à cause de cela que j’insiste pour que vous commenciez par une chose de vous et une chose qui est décidément plus intéressante pour les Français que les odes de Klopstock et plus belle même, car la poésie fait tant aux odes qu’aucune traduction ne peut en rendre l’effet. — De plus, il y aura un parti contre ce qui vient de l’allemand au moment où mon ouvrage paraîtra, et la disposition est à vous admirer sur le sujet que vous avez traité. — Travaillez-y, venez me le lire dans deux mois et donnez-le à l’impression à Paris. Vous ferez ainsi du bien à ce qui est noble, et vous aurez un grand succès. — Dans votre traduction, les orthodoxes trouveront des bizarreries, des négligences, et vous reparaîtrez à demi, tandis qu’il convient que votre premier retour sur la scène soit éclatant. — Enfin je vous donne ma parole d’honneur que j’ai raison. — Écrivez-moi que je vous ai persuadé ; écrivez-moi surtout que je vous reverrai. Mon cœur en a tout à fait besoin. »


Camille Jordan, un peu trop absorbé dans les joies et les soucis de la famille, trop loin du centre, n’ayant pas à Lyon ses vrais juges, même parmi ses confrères de l’académie, un peu trop abondant dans les matières qu’il traitait devant eux, comme il arrive d’ordinaire quand on n’a pas en vue une publicité immédiate, Camille ne tint pas assez compte des judicieux conseils littéraires de Mme de Staël, et toute cette partie de sa vie qui se rapporte à la période de l’empire a pu paraître de loin non occupée : elle est restée comme enfouie dans les registres de l’académie de Lyon. C’est qu’en définitive il n’était pas surtout et avant tout un écrivain ; il avait de cette paresse des orateurs qui ne retrouvent pas dans la solitude du cabinet tout le degré de chaleur nécessaire à la production active, et il fallut plus tard les circonstances politiques pour que l’homme de tribune, l’ardent improvisateur, retrouvât tout naturellement son heure et son à-propos.

Cependant Mme de Staël s’était cruellement trompée sur la destinée de son livre. On sait trop bien ce qui en arriva, et elle va elle-même nous le redire d’une façon plus précise et plus accentuée que nulle part ailleurs. Les lettres de Sismondi, dans lesquelles il n’est que l’écho de la société de Coppet, ont, à ce sujet, fortement incriminé Esménard, et l’ont fait responsable du tour que prit l’affaire. Dans une lettre à Mme d’Albany, du 16 août 1814, Sismondi, à propos de la mort d’Esménard, a dit : « Esménard, qui s’est tué à Fondi, est bien en effet et le poète et le censeur, et celui des fausses lettres de change, et celui qui a fait supprimer l’ouvrage de Mme de Staël, parce que le libraire s’est refusé à le gagner à prix