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nous aussi, nous portons le sceptre, et nous pouvons même dire que notre puissance est bien supérieure à la leur, à moins qu’on ne prétende qu’il est juste que l’esprit le cède à la chair, et que les intérêts du ciel passent après ceux de la terre[1]. »

Telle était la teneur des passages qui avaient le don fatal d’exciter à la fois la colère sourde et les sarcasmes affichés et bruyans de l’empereur des Français. On devine avec quelle habileté il savait s’en servir pour plaisanter sur son excommunication, pour se moquer rudement, quelquefois devant eux, des cardinaux et des évêques, qui n’en communiquaient pas moins avec lui in divinis, et, malgré les prescriptions de leur chef, ne se faisaient pas faute d’assister tous les dimanches à la messe de celui qu’ils avaient reçu ordre de fuir comme un païen et comme un publicain. L’abbé de Pradt ne rapporte donc que la vérité quand il met ainsi l’empereur en action dans des scènes qui se sont le plus souvent passées sous ses yeux. Peut-être a-t-il cependant le tort de n’avoir pas suffisamment indiqué que c’était particulièrement devant les ecclésiastiques comme lui que Napoléon se livrait à ces sortes de plaisanteries. Ce dédain dont il faisait parade devant eux, cessait assez vite hors de leur présence, et ce mépris affecté faisait place à un tout autre sentiment quand il en parlait soit aux ministres exécuteurs de ses volontés, soit même aux membres du conseil d’état qui possédaient sa confiance. Il n’avait pas en effet échappé à la perspicacité de l’empereur que la mesure prise par le souverain pontife pouvait produire des effets très fâcheux dans les pays catholiques nouvellement annexés, restés en communication intime avec le saint-siège et de vieille date habitués à lui obéir ponctuellement, comme en Belgique par exemple et dans les Flandres, où les prières pro imperatore furent en réalité presque complètement supprimées à cette époque, au moins pour quelque temps. Il en craignait également les conséquences possibles en Bretagne, en Normandie, dans la Vendée, au sein de toutes ces populations qui écoutaient encore volontiers la voix de leurs prêtres, parmi lesquelles la conscription n’avait jamais été populaire, et dont la soumission commençait à être mise à si rude épreuve par les fréquentes levées d’hommes. D’inquiétudes tout à fait sérieuses, il n’en éprouvait pas encore ; mais ce serait méconnaître la prévoyance naturelle de l’empereur et ses dispositions facilement ombrageuses que de s’imaginer qu’il n’ait pas d’abord été frappé des dangers qui pouvaient résulter

  1. Bulle d’excommunication publiée et affichée dans Rome le 10 juin 1809. Cette bulle, comme toutes les pièces officielles émanées de la chancellerie pontificale, est écrite en latin. Elle porte en tête : Pius. P. P. VII, ad perpetuam memoriam. Elle commence par ces mots. Quum memoranda… Nous avons suivi la traduction donnée dans les Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 129.