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secret, encore si bien gardé, mais déjà vaguement soupçonné en France. Aux insistances d’un habitant d’Avignon qui s’était glissé près de lui pour s’informer bien bas de ce qui en était de l’excommunication lancée par le pape contre l’empereur, le valet de chambre de Pie VII avait répondu plus bas encore qu’il ne pouvait rien dire, et qu’il y allait de sa vie[1].

C’était surtout à cause de la part prise à la publication de la bulle, de l’honneur qu’il prétendait en tirer et du soin qu’il aurait probablement pris, s’il était resté libre, à la faire partout connaître, que l’ancien secrétaire d’état du pape, le cardinal Pacca, avait été tenu au secret à Grenoble, et, pendant les quatre années qu’il passa étroitement renfermé à Fenestrelle, privé de toute communication au dehors ; mais là ne se bornaient point les précautions de l’empereur. Elles s’étendirent sur une autre bulle fort ancienne interdite de tout temps en France, mais bien connue en Italie sous le nom de la bulle In cœna Domini. D’ordinaire ce sont les premiers mots d’une bulle qui servent à la désigner : celle-ci, dont on ignore l’origine, retouchée par plusieurs papes, notamment par Jules II (Della Rovère), par Paul V (Borghèse), et en dernier lieu par Alexandre VII (Chigi), s’intitulait ainsi parce qu’on la lisait publiquement le jeudi saint en présence du pape, entouré des membres du sacré-collège et des évêques romains. D’après un vieil usage conservé jusqu’en 1773, le pape, après la lecture, prenait un flambeau allumé et le jetait à terre sur la place publique en signe d’anathème contre ceux qui d’une façon quelconque porteraient atteinte aux biens temporels de l’église. C’était à cette bulle que Pie VII avait emprunté plusieurs des dispositions contenues dans celle du 10 juin 1809. Comme toutes les bulles des papes, elle se trouvait en vente chez les libraires d’Italie, et peut-être quelques-uns d’entre eux l’avaient-ils en cette occasion exposée à dessein devant les regards des curieux. Toujours est-il qu’un décret pris en Italie la déclara incontinent attentatoire à l’autorité impériale et subversive de tout gouvernement. Défense fut faite à toutes personnes, de quelque état et dignité qu’elles fussent, laïques ou ecclésiastiques, de lui donner une publicité quelconque, sous peine de voir procéder extraordinairement contre elles pour avoir troublé le repos public[2].

En ce qui concernait la France, l’empereur se croyait fondé à penser que personne ne s’aviserait de donner la moindre publicité à la bulle du 10 juin. Il se tenait assuré de tous les évêques, et par eux

  1. Relation manuscrite italienne de la transportation du saint-père à Savone, par son premier valet de chambre. — British Museum, n° 8,389.
  2. Rapport sur un mémoire du vice-roi d’Italie concernant la bulle In cœna Domini, 5 août 1809.