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Rétimo et à Candie le commerce souffre encore bien plus. Le port de Candie est mal fermé, celui de Rétimo très petit. D’ailleurs ce qui les rend surtout détestables, c’est que le fond en a été exhaussé par le lest que ne cessent d’y jeter les navires ; il faudrait, pour rendre à ces deux ports la profondeur nécessaire, le travail de plusieurs dragues puissantes ; or en 1866 il n’y en avait qu’une pour toute l’île. Les goélettes seules et les caïques trouvent toujours place à Rétimo et à Candie ; quant aux bricks et autres bâtimens qui viennent de Marseille, de Trieste ou d’Odessa chercher les denrées de l’île, il leur arrive souvent, faute d’espace, d’être obligés d’aller attendre dans la baie de la Sude. Réussissent-ils enfin à pénétrer dans le port, ce sont de nouvelles difficultés quand il s’agit d’en sortir ; le bâtiment s’est enfoncé dans une boue épaisse, et, pour dégager la quille, il faut souvent remettre à terre une partie de la cargaison. On se figure aisément combien ces embarras doivent ralentir encore le faible mouvement d’échange auquel ont à suffire tant bien que mal les trois ports de La Canée, de Rétimo et de Candie ou Mégalo-Castron.

Ainsi les Crétois sont privés de ce qui développerait chez eux la richesse, et les impôts qu’ils paient sont répartis et perçus d’une manière vexatoire. L’impôt indirect, sous prétexte de remplacer ce que le gouvernement perdait par la diminution graduelle des droits de douane, s’est étendu depuis quelques années à beaucoup d’objets qu’il n’atteignait point auparavant. De plus ces taxes n’ont pas encore été ramenées à un plan général ; différentes d’une province à l’autre, elles sont arbitrairement établies, capricieusement augmentées et irritent les contribuables en les prenant au dépourvu[1]. La Crète est exempte de l’impôt direct nommé verghi, mais elle paie l’impôt foncier sous forme de dîme, et ce qui surtout rend cette dîme écrasante pour la population, c’est la manière dont l’état en opère le recouvrement. Les Crétois n’avancent rien à ce sujet que ne confirment et nos propres souvenirs et le témoignage de notre agent à La Canée. « Le système de fermage, tel qu’il existe, est, disent-ils, non-seulement insupportable et arbitraire pour le peuple, mais encore préjudiciable pour le gouvernement impérial. » On n’ignore pas quels souvenirs ont laissés en Occident ces fermiers de l’impôt qui ont disparu de tous les pays civilisés, et il suffit d’avoir traversé la Turquie pour savoir quelles plaintes ils y soulèvent.

A défaut d’un dégrèvement d’impôt, les Crétois étaient fondés à

  1. Comme l’indiquent les dépêches anglaises, une des taxes qui causèrent le plus d’irritation, ce fut la taxe établie sur le sel. La Crète emploie une bonne partie de l’huile qu’elle produit à fabriquer un savon grossier qui s’expédie sur tous les marchés de l’Orient. Or cette fabrication consomme de grandes quantités de sel ; en imposant le sel, on risquait de faire périr cette industrie.